
C’est lors d’une balade dans les rues de Poitiers en 1986 que je découvre par hasard une gamme inédite de calculatrices CASIO. Sur le présentoir de la librairie sont rangées côte à côte des machines multicolores et remplies de touches « gomme ». L’une d’elles a un grand écran carré. C’est visiblement la plus puissante. Mais c’est la plus petite que je remarque, avec son superbe écran incliné. Quelques mois plus tard, je signe le chèque (660 Francs) à la FNAC de Lille.
A la mise sous tension, je contemple pour la première fois un afficheur graphique, de 4 lignes, tout en matrice de points. La 6000 est rapide, une vraie fusée. La ligne 69!+69!+69! est exécutée en un instant, c’est du jamais vu. Et le traçage de courbes se révèle un champ d’exploration captivant.
D’un point de vue calcul, la 6000 offre beaucoup de fonctions. J’apprécie beaucoup le nouveau mode d’entrée des données, commun depuis à (presque) toutes les calculatrices graphiques.
Ce mode est innovant. On a affaire ici à un évaluateur dans lequel on écrit de façon naturelle une proposition, au besoin très compliquée, qui sera évaluée numériquement par la pression sur la touche EXE. Autre intérêt du système : l’affichage du résultat ne remplace pas les données d’entrée, les deux sont à l’écran.
Ainsi, si je tape 1337,28 – 242,60, ces données de départ seront encore présentes après apparition du résultat. Cette vision persistante des données entrées pallie un défaut des calculatrices classiques, à savoir la substitution du résultat aux opérandes, et donc le doute qui peut toujours subsister sur la justesse de la frappe initiale. Ici, le résultat peut toujours être rapproché pour contrôle des opérandes visibles, et modifiables si besoin.
La fonction ANS, qui renvoie le dernier résultat, est pratique et souvent utilisée dans ce mode. Et ici, on a la chance d’avoir une touche ANS dédiée. Ce sera loin d’être toujours le cas dans l’avenir où beaucoup de machines graphiques placeront la touche ANS en fonction secondaire. N’oublions pas que dans ce mode d’entrée « naturel », le symbole de racine carrée ou « log » se placent devant la valeur, comme sur le papier. En conséquence pour utiliser la valeur précédente, ANS est incontournable.
Une petite déception concernant la programmation : 486 pas seulement, c’est devenu bien peu. Le langage, inauguré avec la 4000P est de nature symbolique. On peut regretter une absence d’une fonction Pause mais ce langage a tout de même l’avantage d’une grande clarté. Il permet l’affichage de messages lors des entrées et sorties, ce qui manqua pendant longtemps aux calculatrices programmables non alphanumériques. Les fonctions graphiques sont elles aussi programmables.
Une illustration de la modernité du langage de programmation : si je veux programmer le calcul du discriminant réduit de l’équation quadratique d = b²-4ac cher à mes professeurs de lycée, la ligne de programme pourra sans problème être B²-4AC⇒D. Quoi de plus naturel me direz-vous ? Pourtant avec l’aînée FX-602P c’était une autre paire de manches: MR02 x² – 4 X MR01 X MR03 = Min 04 …
Trente-cinq ans plus tard, cette magnifique calculatrice fonctionne comme au premier jour, sans problème d’écran, de nappes ou de clavier. A noter que l’autonomie est correcte, bien que reposant sur une alimentation à piles bouton (CR2032 x 3). En comparaison, la future 7700G videra ses quatre piles bien plus vite.
A noter que la FX-6000G ne se trouve pas facilement d’occasion. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle soit vendue chère. C’est un fait que le public, contrairement à moi, lui a toujours préféré la grande sœur, à écran carré, la FX-7000G, bien plus diffusée dans le monde.
Membre de la toute première famille de calculatrices graphiques, la 6000 présente une spécificité bien peu discernable. Soumise à des tests de calculs poussés elle montre des résultats numériques étonnamment différents des sœurs à grand écran.
Ainsi, alors que le test Forensics(*) se conclut de façon rigoureusement identique pour toute cette nouvelle famille, celui du cumul des sinus de 1° à 360° n’en fait qu’à sa tête et retourne une valeur différente – et un peu moins précise – pour les 6000 et 6500 (**). Que se passe-t-il donc ?
L’examen comparé du sinus de chaque valeur, avec loupe placée niveau des trois derniers chiffres de garde, montre assez souvent une différence d’une machine à l’autre sur le treizième et parfois le douzième chiffre, différence qui ne semble pas liée à une gestion différente de l’arrondi.
Laquelle montre les valeurs les plus justes ? L’ordinateur SHARP PC-1475, commuté en la circonstance en double précision – et redoutablement juste dans ce mode – vient arbitrer ce comparatif. Le verdict est sans appel, en cas de différence, les valeurs de la FX-6000G sont toujours les moins justes, ce qui explique qu’elles aboutissent, cumulées, à une valeur finale aussi différente.
Mais alors pourquoi le résultat du test Forensics, qui repose lui aussi sur les fonctions trigonométriques, est-il identique pour les deux modèles ?
Ce test est bâti traditionnellement sur la valeur source 9. Or, il se trouve que pour cette valeur, les résultats des deux machines se montrent identiques. Mais si on décide de changer cette valeur, et même de réaliser le test sur, par exemple, chacune des valeurs 1 à 89 on constatera que la plupart du temps, le test aboutit à des résultats différents.
Le tableau ci-dessous liste ces valeurs. Celles de couleur verte sont identiques pour les deux machines. On peut s’étonner de la quasi absence de valeurs négatives retournées par la 8000. Et aussi du lien mystérieux liant dans la 6000 les valeurs positives à la couleur verte. Avec une exception pour le nombre source 59 qui donne une valeur, négative elle aussi, égale à l’unique valeur négative de la 8000. Et six valeurs positives qui se suivent pour les nombres source 43 à 48 (6000) …

La Casio FX-6000G est donc dotée d’un processeur spécifique, le NEC D1007G-003 (tout comme la 6500G en toute probabilité). Les FX-7000G, 8000G et 8500G reçoivent quant à elles le NEC D1007G-008.

Ci-dessous, des captures montrent la partie la plus à droite des valeurs des sinus de 1° à 6° (et seulement 4° à 6° pour la 6000 à écran réduit), se terminant par les 3 chiffres de garde. Le sinus de 5° affiché par le SHARP PC-1475 sur 20 chiffres confirme la meilleure valeur affichée par la FX-8000G (avant dernière ligne). On y retrouve bien 4274766, avec un 13e chiffre correctement arrondi. La FX-6000G fait moins bien avec 4274773.

J’arrête ici cette plongée dans les tréfonds des algorithmes de précision, dont je ne sais percer tous les secrets.
Que l’on se rassure, la FX-6000G est une calculatrice précise car, dans tous ces exercices, les 10 chiffres affichés sont toujours justes. Les chiffres de garde, masqués, sont là pour y travailler dans la discrétion, et n’ont en principe pas vocation à être révélés. Et pourtant lors d’un cumul, il peut se passer bien des choses …
Un dernier mot, sur le manuel : la couverture montre le couple FX-6000G et FX-6500G. J’ai mis des années avant d’en savoir plus sur cette dernière, qui est une vraie rareté. La présence des deux modèles sur la couverture du manuel commun parle en faveur d’une même année de naissance.
(*) http://www.rskey.org/~mwsebastian/miscprj/forensics.htm
(**) la série 6000 retourne la valeur 1.1812E-10, les séries 7000 et 8000 retournent la valeur -4.883E-11. Les 3 séries retournent unanimement la valeur 5.90443E-07 au test Forensics.