Produite à partir de 1979, il s’agit de la version à mémoire permanente de la TI-58, grande sœur de la TI-57.
D’un point de vue technique, la TI-58 offrait une mémoire totale de 480 pas (240 pas + 30 mémoires réductibles au besoin en mémoire-programme à raison de 8 pas par mémoire), quand la petite 57 n’avait que « l’équivalent » de 114 pas (50 pas + 8 mémoires, non réductibles). La TI-58 offrait l’adressage indirect, les indicateurs binaires, et la grande bibliothèque ROM de 25 programmes pré-enregistrés, mais n’acceptait plus les codes condensés de la TI-57, avec pour conséquence la sensation d’une consommation plus élevée de mémoire-programme.
Les 57, 58 et 59, perdaient leur contenu à chaque extinction, ce qui était contraignant, surtout en regard de leur autonomie. Ce n’était plus le cas de la TI-58C (le C signifiant mémoire Constante ou Continue) qui conservait les contenus au delà de toute extinction.
La TI-58C fut ma quatrième machine, juste après la TI-57. Elle coûtait horriblement cher pour mes pauvres moyens. Déjà ce n’avait pas été facile d’acheter la 57, il m’avait fallu attendre des mois alors qu’elle ne coûtait que 300 Francs. Ici, c’était 750, mais il me la fallait coûte que coûte. Cette machine m’hypnotisait toutes les fois que je passais devant les vitrines. Et j’avais un peu d’argent après un premier emploi de quelques mois.
Je choisis de me rendre à Paris, au printemps 1982 pour réaliser l’achat. Les prix pratiqués dans mes boutiques locales étaient en effet prohibitifs. Je descendis ainsi pour la première fois seul dans la capitale. J’avais étudié le plan du métro pour me rendre à la FNAC Montparnasse. Pas si facile en fait, car si le métro s’est bien arrêté à la station prévue, je n’avais pas imaginé tant d’issues pour en sortir, avec des sorties côté pair ou impair, côté rue truc, ou côté gare … bref j’en ai emprunté une au hasard, et ai réussi à me perdre dans le quartier. Il y avait bien la Tour qui me permettait de ne pas m’éloigner, mais je n’en étais pas moins perdu. Je finis par remonter le courant des personnes munies d’un sac FNAC et atteignis mon but.
Après l’achat, sur le quai du métro du retour, je ne pus m’empêcher d’entrouvrir la boîte. La machine était bien là, tout près, toute neuve, magnifique, ce n’était pas un rêve.
J’ai vénéré cette machine tout le temps que je l’ai utilisée, c’est-à-dire un peu moins d’un an. En effet, en raison de la piètre qualité des claviers TI de l’époque, ma 58C a rapidement montré des signes de faiblesse : les touches avaient un effet redondant, qui répliquait un appui de « 1 » en « 111 » ou déclenchait pour un rien le clignotement d’affichage après ce qui n’était pourtant intentionnellement qu’un appui unique sur un « +« . Effet désastreux. Ne parlons pas de la programmation en de telles circonstances. Comment entrer correctement un programme, sachant que sur ces machines, l’instruction disparaît de la vue une fois tapée (la TI-66 saura faire mieux), qu’une même instruction requiert souvent plusieurs appuis et plusieurs pas, et que les touches SST et BST permettant la relecture sont affectées du même hoquet …
Ajoutons que lors d’un geste malheureux, j’ai arraché une patte de contact du module enfichable. Machine HS, quel dommage. Je l’ai conservée année après année, plus sentimentalement que par espoir d’une réparation future.
Bien m’en a pris car bien plus tard, Internet est arrivé et m’a permis de remédier à cette situation. J’ai pu me procurer une machine en état de marche, puis y ai puisé l’électronique qui est venue prendre place dans ma TI-58C, qui a pu de nouveau fonctionner.
J’ai pu réaliser certaines belles choses avec ma TI-58C, notamment un programme professionnel qui me permit, accessoirement, de tester en réel l’accueil de l’informatique par les populations « vieille école ». Je m’explique : en 1983, je venais d’obtenir mon premier vrai emploi (de bureau, dans une banque). Chaque jour en milieu d’après-midi, il était nécessaire de dresser un inventaire très précis de valeurs en caisse après fermeture des guichets (billets et pièces selon tous conditionnements. Il fallait, pour une soixantaine de références, relever les quantités restantes, tenir compte des conditionnements (par 25, 30, 50 pour certaines, par 500, 1000 pour d’autres, par bracelets, sacs, rouleaux …) et traduire tout en valeur monétaire. Opérations longues, purement arithmétiques, rarement justes du premier coup en raison des erreurs de calculs des uns ou des autres, qui me tentèrent d’en faire un programme pour TI-58.
Toute une soirée, je tentai de me replacer en situation et me remémorai toutes les étapes du processus pour en faire une traduction informatique. Quand les essais me parurent probants, j’allai me coucher, impatient de lancer mon programme en situation réelle.
Le lendemain, en milieu d’après-midi, je sortis fébrilement ma TI-58 et proposai de me charger de l’inventaire. La réaction de mes collègues, pourtant ordinairement joyeux et sympathiques, fut d’emblée hostile. En résumé, voici ce que j’entendis : « tiens voilà le petit nouveau qui nous prend pour des demeurés, qui se la joue avec une machine façon James Bond, et puis d’abord seuls les imbéciles ont besoin d’une machine à calculer etc. » Ambiance imprévue et détestable. Je me lançai quand même. Mais mon programme se révéla bogué, comme c’est souvent le cas lors d’une première utilisation. Donc sous le regard rassuré et narquois de mes gentils collègues, je dus tout recommencer en manuel.
Les bugs étaient faciles à corriger et dès le lendemain, j’aurais pu mettre à profit la justesse et la rapidité du programme. Mais j’étais écœuré par l’incompréhensible réaction que je venais d’essuyer et plus jamais par la suite, je n’amenai ma 58 au bureau … Ce qui ne m’empêcha pas d’utiliser des calculatrices plus simples, entraînant systématiquement les allusions réductrices des anciens, qui calculaient toujours à la main, crayon sur l’oreille et bombant le torse, faisant sans arrêt toutes les erreurs possibles. Combien de fois ai-je entendu : « ne cherchez plus, vous allez rire, c’est juste une erreur de report ». Juste une erreur qui avait fait perdre 30 minutes à chacun, comme cela se produisait 3 fois par semaine. Moi aussi je savais calculer avec un crayon, et depuis la classe de CP. Mais j’étais protégé de toute erreur avec ma calculatrice, mais pas des remarques stupides. Lointaine époque que je ne regrette pas, de ce point de vue …