Cette TOSHIBA a existé sous différentes versions. La BC-1217 est parmi les plus anciennes, produite dès 1974.
Ce n’est pas une machine de poche, ses dimensions (1300 g) et fonctions de calcul la destinent à un usage de bureau. Et point de compartiment à piles, juste une alimentation par prise murale.
La manipulation de cette machine de 1974 n’est pas évidente. Les multiplications et divisions demandent une logique classique, avec usage de la touche ÉGAL, tandis que addition et soustraction se font à la mode postfixe, la touche d’opérateur achevant le calcul. Et un commutateur K provoque l’accumulation automatique en mémoire.
Une caractéristique remarquable est le grand afficheur à 12 chiffres verts. Cet afficheur contient la marque de son ancienneté : la graphie du chiffre 4, « croisée », spécifique de cette période où l’on passait de la représentation courbe des chiffres à une représentation rectangulaire et schématique à sept segments, exigée par les afficheurs électroniques modernes.
Qu’on s’en souvienne, les tout premiers afficheurs électroniques (Nixie-tubes, Itron-tubes) s’efforçaient de restituer la forme courbe des chiffres. Par ailleurs les dispositifs d’impression ont toujours reproduit fidèlement les courbes. Ce n’est plus le cas dans les afficheurs à segments, ceux-là mêmes qui équipent 99 % des calculatrices non graphiques présentées dans ce site. L’afficheur à sept segments nous est si familier qu’il nous est difficile de concevoir qu’il ait pu heurter les yeux des utilisateurs de 1974.
En particulier, c’est la transcription du 4 qui semble avoir posé le plus de problèmes de lisibilité. Car sinon, comment expliquer qu’on ait balafré chaque digit de cette TOSHIBA en son segment du milieu, coupé en deux, juste pour permettre l’apparition d’une ligne verticale supplémentaire, imposée par le seul chiffre 4 ? (illustration 1 ci-dessous)
Une autre tentative contemporaine, non plus à 10 segments mais à 8, consista à créer un micro segment en prolongement de la barre horizontale du 4, lui restituant son aspect « croisé » (illustration 2).
Puis rapidement la graphie moderne du 4 à 4 segments s’imposa définitivement, et plus jamais par la suite on ne rencontra de 4 « croisé » sur un afficheur à segments (illustration 3).
Plus tard sont apparus les afficheurs à matrices de points (illustration 4) et les courbes sont revenues. A noter qu’il n’y eut pas de problématique du 7. Ce chiffre, croisé lui aussi (en France du moins) n’eut jamais le moindre scrupule à abandonner sa barre intermédiaire (inusitée chez les anglo-saxons).
A noter aussi que l’afficheur à 10 segments de la TOSHIBA BC-1217 profite plus discrètement à un autre chiffre : le 1, qui emprunte du coup la longue barre verticale du milieu, le positionnant ainsi à mi-chemin des digits adjacents, ce qui n’est jamais le cas avec les afficheurs à 7 ou 8 segments.
Pour aller plus loin dans cette réflexion sur le 4, il faut aussi prendre en compte la composante géographique. En effet les premiers afficheurs à segments étaient construits sur des LED rouges. Et jamais on n’a vu de 4 rouge « croisé ». Or les LED rouges étaient abondamment utilisées par les américains. Ainsi on a vu les calculatrices Hewlett-Packard dotées d’afficheurs rouges jusqu’au début des années 80. Et jamais aucune HP à chiffres verts ne fut commercialisée.
Texas-instruments de son côté fit un usage très mesuré du digit vert pour ses machines de poche. Comportement contraire chez les japonais Sharp, Casio et d’autres qui introduisirent très tôt l’afficheur fluorescent vert (VFD), et très peu de machines en diodes rouges chez ces constructeurs. Les américains se passèrent donc facilement du 4 au graphisme croisé. Ce fut plus long pour les japonais. Pour quelles raisons ? Je n’ai pas la réponse.
En conclusion, la belle TOSHIBA BC-1217, sous ses airs austères et fonctionnels, nous conte une tranche d’histoire, montrant la piste éphémère que constitue l’afficheur à 10 segments, et par là même l’évolution conjointe des procédés technologiques et des esprits.
Illustration 1 : afficheur à 10 segments montrant le 4 « croisé », et le 1 à mi-chemin des digits adjacents (cas de la TOSHIBA ici représentée)
Illustration 2 : afficheur à 8 segments, montrant lui aussi un 4 « croisé » (Cas de la PANASONIC JE-885U de 1973). Le « 1 » n’est plus à mi-chemin des digits adjacents.
Illustration 3 : afficheur traditionnel à 7 segments (ici une BOHN INSTANT). Le 4 a désormais sa forme définitive à 4 éléments.
Illustration 4 : afficheur à matrices de points (ici CASIO FX-602P de 1981). La matrice de points permet de restituer une physionomie plus naturelle des chiffres.
Le 7 français : Pour nous amuser, imaginons ci-dessous ce qu’aurait pu donner la représentation en matrice sept segments d’un 7 « français », porteur d’une barre supplémentaire. Parions que la représentation aurait laissé maints esprits perplexes car l’œil y est frustré, il manque de toute évidence quelque chose (chiffre de gauche). Avec un huitième segment à droite (chiffre de droite), le 7 se révèle.
La TOSHIBA BC-1217 de profil
Ci-dessous côte à côte la BC-1217 et la non moins splendide BC-1215 de 1971, variante à chiffres plus petits et de format « plat ».