TEXAS-INSTRUMENTS TI-95 PROCALC
TI-95 et TI-59 sont des machines de philosophie proche sous des aspects très différents.
Un contexte compliqué pour la TI-95 : En plein raz-de-marée des ordinateurs de poche, où rivalisent Sharp et Casio, Texas-Instruments n’a pas préparé ce type de réponse et cherche sa solution. Le fameux projet de calculatrice alphanumérique TI-88 qui devait aboutir en 1982 est arrêté. Depuis, Texas-Instruments hésite et couche sur sa page blanche le très original ordinateur de poche CC40, puissant, original, qui ne rencontrera pas son public.
En 1986, quatre longues années après, arrive le couple TI-74 Basicalc et TI-95 Procalc. Peut-on regarder ces deux machines comme le concept maison de l’ordinateur de poche ? : des machines au format paysage, à clavier « qwerty », à la fois bases de programmation évolutives alphanumériques et calculatrice ? L’une se programme en langage Basic, l’autre en classique enregistrement de mnémoniques. Les deux machines partagent la même carrosserie.
Qu’est-ce donc qu’une Procalc ? Cette calculatrice à la physionomie brutale est grandement dans l’esprit de l’ancienne TI-59 qu’elle prolonge de façon importante. Ainsi :
La 59 a +/- 1000 pas de mémoire, la 95 en a 7 fois plus,
La 59 n’a que 3 heures d’autonomie, la 95 en a considérablement plus,
La 59 a une mémoire volatile, la 95 a une mémoire permanente,
La 59 est fragile (clavier, contacts …), la 95 est robuste,
La 59 n’est guère véloce, la 95 court quatre à cinq fois plus vite,
La 59 est exclusivement numérique, la 95 est alphanumérique.
En revanche la 59 fut une des plus belles calculatrices jamais produites tandis que la 95 ne cherche pas à éblouir les esthètes. La réutilisation de l’énorme boîtier du TI-74 y est sans doute pour beaucoup, mais on ne peut pas tout avoir. A tout le moins, l’abondance de place accueille sans peine 65 touches, dont beaucoup déploient des menus – est-elle la première fois ? – ce qui procure un grand confort à la frappe, sans devoir recourir à tous coups à des fonctions secondes ou tierces.
La TI-95 permet elle aussi l’ajout de modules (de mémoire vive ou morte, optionnels quand la 59 était livrée en standard avec son module de base « Master Library« . La TI-59 embarquait une sauvegarde par cartes magnétiques mais la mémoire de la 95 est segmentée dans cet esprit et peut en pallier l’absence.
Quant aux programmes conçus pour TI-59, ils peuvent être transposés sans trop de difficultés sur TI-95, profitant pour l’occasion d’une présentation désormais horizontale de la liste des instructions et montrant en conséquence celles-ci d’un seul tenant même en cas d’occupation de plusieurs pas d’affilée.
Ajoutons des capacités alphanumériques qui permettent l’affichage en clair des mnémoniques et on obtient une lisibilité du programme grandement améliorée.
Les capacités alphanumériques vont aussi permettre des choses comme l’appel en clair des valeurs à introduire et l’annonce des résultats ou de toute autre verbalisation, et en majuscules ou minuscules, enfin !
Les chaînes de caractères peuvent être placées en mémoire mais certaines fonctions comme l’extraction de caractères ou le basculement de statut nombre vers alpha ou son contraire ne sont pas possibles – mais cela aurait été le cas également pour la prestigieuse TI-88 jamais produite, sauf erreur de ma part. Le Basic des ordinateurs de poche faisait mieux sur ce point.
Parmi les fonctions étonnantes, on note une ASM totalement inspirée de l’univers TI-59, capable de traduire à la demande, à l’intérieur d’un programme, l’adressage relatif en adressage absolu, soit des cibles non plus repérées par des étiquettes mais par le numéro des pas, dans un but de gain de temps d’exécution. Faire cette opération à la main dans une TI-59 était possible mais pénible et source d’erreur. Un essai réalisé par mes soins sur un programme de 500 pas comptant 10 étiquettes bien sollicitées a montré un gain cependant peu perceptible (programme exécuté en 34 minutes en branchement par étiquettes contre 31,5 minutes en branchement direct au pas). Le bénéfice serait sans doute plus marqué pour les longs programmes où le temps consommé dans la recherche d’étiquettes serait d’autant plus long.
Accessoirement mais c’est un vrai plus, on trouve désormais un générateur de nombres pseudo aléatoires. La 59 en était dépourvue, à moins de solliciter un lent programme en module, peu pratique en cas de besoin intensif.
L’inconfortable réservoir de fonctions numérotées, manipulé par la touche OP, dispositif intergénérationnel partagé par les TI–58, 59, 88, 66, disparait enfin au profit de touches plus conversationnelles, je pense en particulier à l’incrémentation de registres qui a maintenant sa propre touche.
A noter aussi que la 95 est une des très rares calculatrices à avoir su tirer parti du format horizontal pour offrir un afficheur de taille généreuse.
Un petit reproche : l’énorme touche CLEAR placée là où on aimerait trouver une touche ENTRÉE. D’où parfois des effacements intempestifs.
La TI-95 est une machine très puissante, ayant bénéficié d’une conception toute particulière et inspirée. Certains observateurs y décèlent le fantôme de la TI-88. Quoi qu’il en soit, si le public fut privé de cette dernière jamais commercialisée, avec la Procalc il tient bien dans ses mains la parfaite succession de la TI-59, arrivée cependant bien tard (1986).
La TI95 a-t-elle rencontré son public ? Le marché de l’occasion où on la rencontre encore fréquemment aujourd’hui montre qu’en dépit d’un décalage avec le marché de l’époque et une physionomie inattendue qui égare l’œil, elle a pu malgré tout exister.
Calculatrice dotée d’une étonnante personnalité, truffée d’attentions de concepteurs en grande forme, elle disposait de tous les atouts. Elle venge l’échec TI-88 et réalise l’aboutissement de l’esprit des grandes TI programmables, mais en refermant définitivement ce chapitre car elle restera sans descendance. En effet en 1986 l’air du temps est celui des machines parlant Basic, tandis que le concept de calculatrices graphiques montre déjà son nez, une révolution arrive.
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