T25 – Qui se souvient du Ribiguide ?

[09/03/2025]

UN GUIDE GASTRONOMIQUE COMME ON N’EN FAIT PLUS

Quels gourmands se souviennent du Ribiguide ?

Le Ribiguide fut un guide gastronomique régional, vendu en librairie en 1984 dans le nord de la France. Bien sûr le guide Michelin existait déjà mais le Ribiguide avait une approche différente. Les nombreux établissements référencés étaient commentés dans de généreux descriptifs. Chacun se voyait attribuer une note, sur 20, composée sur les différents aspects pouvant intervenir dans l’appréciation d’une bonne table. Ainsi la qualité de la cuisine était notée mais aussi le cadre, l’art de la table, la carte des vins, le rapport qualité-prix, et peut-être un sixième critère que j’ai oublié.

Seuls les établissements ayant obtenu une note globale de 10/20 au moins y étaient repris. Le Ribiguide couvrait une large étendue territoriale, des départements du Nord à la Seine-Maritime, en passant par le Pas de Calais, la Somme, l’Aisne, l’Oise, peut-être aussi la Marne ou le Calvados mais pour ces derniers je n’en suis plus sûr.

La Belgique proche avait aussi été visitée par les infatigables testeurs. Toutes les gammes de prix y figuraient, la meilleure note du guide culminant à 19/20 pour Le Flambard, une table lilloise prestigieuse, aujourd’hui disparue.

Un jour ma femme et moi nous avons tenu en main le guide Michelin et le ressenti fut bien plus frustrant . La plupart des tables étaient commentées en une ou deux lignes laconiques comme « belle salle donnant sur un parc ». Tout le territoire français était couvert, cela nous faisait une belle jambe de découvrir que le restaurant préféré de l’éditeur était à la Napoule, c’était bien loin. Dans le Michelin, seule la qualité de la cuisine semblait prise en compte. Le critère est bien entendu important mais nous pensions que ce n’était pas le seul qui présidait à la réussite d’une bon moment. Le Ribiguide nous comblait sur ce point. Nous découvrîmes aussi le guide Gault et Millau, plus chaleureux que le Michelin mais rien ne pouvait remplacer notre Ribiguide. « Ri » et « bi » étaient le début du nom des deux auteurs.

Aujourd’hui plus d’allusion ou photographie de l’ouvrage ne sont dénichables sur internet. La seule trace est une maigre référence de librairie chiffrée renvoyée par les moteurs de recherche. Parfois, lors de braderies de printemps, je fouille un peu, des fois qu’un Ribiguide ayant échappé à la destruction vienne remplacer celui que j’ai jeté un beau jour, je le regrette beaucoup.

Nous étions jeunes en 1984, et plus habitués aux pizzerias qu’aux tables étoilées. Un jour, sur une route menant en Normandie, nous décidâmes de nous arrêter pour déjeuner. Une petite enseigne « Auberge de la Forge » située dans le minuscule village de Caulières attira notre attention. Nous entrâmes dans ce qu’on pensait être un petit restaurant simple et rapide. On nous accueillit chaleureusement, nos vêtements furent emportés. Je remarquai un diplôme suspendu à un mur.

On nous plaça près d’une petite fenêtre. Les gens déjà installés ne semblaient pas du tout pressés, comme s’ils connaissaient bien l’endroit. Un maître d’hôtel impressionnant, habillé d’un costume sombre vint prendre notre commande. Nous étions étonnés de son sérieux, de ses gestes, du ton sur lequel il s’exprimait. Cela ne ressemblait pas à celui plus familier de la Dolce Vita, notre pizzeria préférée. Nous nous amusâmes de ce que nous voyions, on avait l’impression que ce Monsieur interprétait un rôle, comme si nous devions nous sentir dans un grand restaurant, ceux qu’on voit dans les films.

Mais rien n’était cependant caricatural, tout sonnait juste. A un moment, nous découvrîmes qu’un couple près de nous avait un chien, sagement tapi sous la table. L’animal commit une maladresse et renversa un récipient. Nous vîmes le maître d’hôtel accourir instantanément et gérer l’incident avec calme et gentillesse. Dans une telle situation, nous nous serions plutôt attendus à voir un couple rouge de honte et un maître d’hôtel grimaçant. Eh bien non. Nous n’en revenions pas. Le monsieur amena nos plats, servis sous cloche, une surprise qui continua de nous faire sourire. Pourquoi tant de manières ? La cloche ne dissimulait-elle pas un plat ridiculement petit ?

Non, au contraire, tout était parfait, très bon. Etions-nous dans un vrai grand restaurant ? Pourtant nous avions jeté un œil sur la carte avant d’entrer, et aucun prix ne nous avait alerté. Vint le dessert, le Monsieur arriva avec un grand chariot où étaient disposés plusieurs entremets et nous invita à exprimer un choix. Mon épouse prit un morceau de l’un et le grand Monsieur l’invita à le compléter avec un autre si elle le voulait. Je pris moi aussi deux desserts différents. Nous étions comblés.

Quand l’addition nous fut apportée, nous refîmes le calcul attentivement car pour le menu que nous avions pris elle n’était pas plus élevée qu’à la Dolce vita. Nous venions de faire un excellent repas, dans une ambiance calme et soignée. Nous venions de découvrir une autre cuisine, une mécanique différente, nous avions été bichonnés durant une heure. Il s’agissait incontestablement d’une bonne table, ce que nous confirmera le Ribiguide, feuilleté un jour dans un rayon librairie du supermarché, dans le but d’y trouver une page sur cette Auberge de la Forge. Elle s’y trouvait. La note était de 16/20, excellente. Le Ribiguide fut déposé dans le caddy et nous accompagnera ensuite dans chaque voyage.