T22 – Noëls d’antan
[16/01/2025]
Noëls d’antan
Noël est dit-on une fête religieuse, celle de la naissance de l’enfant Jésus. Les Noëls de mon enfance n’étaient pourtant guère religieux. L’idée du petit Jésus était présente, dans les chants notamment, mais Noël était surtout une longue fête des enfants, une période pleine de douceur au cœur de l’hiver, qui commençait bien avant le jour de Noël et comportait des jalons qui étaient autant de sources d’émerveillement.
Dans les premiers jours du mois de décembre, il pouvait tomber quelques flocons. Les voir danser pour la première fois de l’année, découvrir la fine couche blanche qui commençait à tout recouvrir dans un doux silence, tout cela marquait le début de la magie de cette belle séquence hivernale.
Les jours étaient devenus courts, le bon Saint-Nicolas venait de passer avec ses bonbons. Des visiteurs du soir frappaient maintenant à la porte. Le facteur tout d’abord. On le connaissait bien, on lui disait bonjour dans la rue mais on ne le voyait de tout près qu’au moment du passage pour les calendriers. Maman nous appelait et nous choisissions le plus beau, celui avec le paysage de montagne, ou avec les chatons joueurs. Les pompiers passaient ensuite pour un autre calendrier, plein d’images de camions, puis c’était au tour des éboueurs descendant de leur impressionnant véhicule articulé. Tous ces calendriers montraient les quatre chiffres énormes et colorés de la nouvelle année, bientôt on ne serait plus en 1967 mais en 1968, d’un seul coup.
Le soir, marchant dehors avec ma Maman, nous découvrions des décorations lumineuses tout juste accrochées en haut de chaque rue. La tête levée, on passait dessous, on y voyait des étoiles lumineuses, des oiseaux, des anges, c’était déjà Noël. D’ailleurs viendrait bientôt le dernier jour d’école. Le temps des vacances serait alors venu. On ne reviendrait que l’année prochaine.
Le tout dernier jour d’école nous réservait une incroyable surprise : il nous était distribué une orange et une friandise en chocolat. Comment oublier un tel moment où l’école oubliait sa rudesse et devenait douce et attentionnée.
Voilà les vacances de Noël qui commencent. La maison exhale un délicieux parfum, celui du grand sapin que les parents ont dressé et déjà commencé à décorer de guirlandes, bougies et boules de couleurs. Le soir de Noël, des cadeaux y seront déposés par le Père-Noël qui passera par la cheminée. On n’a pas de cheminée et on s’en est inquiété mais cela ne semble pas un problème.
Dehors la neige est abondante, les enfants sortent les luges ou tous objets plats en plastique qui font merveille pour descendre la pente des champs enneigés.
Un soir Papa ramène une dotation de son travail : trois énormes sachets remplis de friandises de Noël, un pour chaque enfant, avec des choses à l’intérieur qu’on ne voit pas d’habitude, un Père-Noël en pain d’épices et toutes sortes de bonbons et chocolats de formes et marques inconnues.
Un événement important va maintenant se dérouler, une première rencontre avec le Père-Noël, au cours d’une cérémonie qui s’appelle « l’Arbre de Noël » et se déroule là où papa travaille. On est assis dans une grande salle, nos parents tout près de nous. Un Monsieur parle au micro puis le Père-Noël arrive, grand, avec une longue barbe, et le voilà qui appelle chaque enfant l’un après l’autre. Mon tour arrive, je n’ai pas vraiment envie d’y aller, il me fait peur, mais on m’encourage à aller vers lui. Le Père-Noël me connait, il sait des choses sur moi, que je n’ai pas été sage un jour, que j’ai cassé une fois telle chose, mais il me pardonne et me remet un petit paquet, je retourne m’assoir à coté de mes parents. Dans le paquet je trouverai un camion transporteur de petites voitures, avec une petite manivelle ronde qui permet de baisser l’étage supérieur pour y faire monter les autos.
Quelques années plus tard mon père m’avouera que c’était lui le Père-Noël ce jour-là. Mais il me sera difficile de le croire, persuadé qu’à aucun moment il ne s’était éloigné de nous pour rejoindre la scène.
A la télévision les vacances de Noël sont baignées elles aussi de décors de fête et de musiques légères. Des dessins animés qu’on ne voit jamais sont diffusés, de vieux films sont passés, à la grande joie des parents, et le disque familial de Noël sort de sa pochette. On l’entendra jusqu’aux premières heures de 1968.



Puis enfin arrive le jour du réveillon, on sait qu’on ira dormir très tard ce soir, on sera peut-être même déjà demain. On fait la fête sur fond de musiques de Noël, le sapin brille de mille feux, on est heureux, on mange plein de choses, que Maman a mis longtemps à préparer et avant de croquer la longue buche où vivent de petits bûcherons barbus scie à la main, Papa prépare les marrons. Il faut d’abord les entailler un par un puis les laisser cuire longtemps puis enfin ils sont cuits, très chauds, ça brûle dans la main, ils sentent bon, c’est délicieux et c’est juste une fois par an.
Puis Papa nous annonce que le Père Noël est passé pendant qu’on ne faisait pas attention, il y a maintenant des paquets au pied du sapin. L’un d’eux est énorme, ce sera ma DS à pédales, le plus gros cadeau que j’aie jamais reçu.
Puis on se prépare à aller dormir, demain ce sera le 25 décembre, le jour de Noël, un jour avec moins de magie qui me laissera peu de souvenirs. Il faudra mettre des beaux habits, certains sont devenus trop petits et demandent des efforts pour les enfiler et les supporter, et ensuite aller manger chez mes grands-parents où un petit cadeau sera encore reçu. Là aussi il y aura un sapin décoré, avec même des bonbons qui y pendent, il n’y a qu’à les cueillir ! Mais je n’en ai pas le droit, on me dit que je dois comprendre qu’ils sont là pour mes cousins plus jeunes encore, moi je suis un grand et je suis déçu.
D’ailleurs le Noël prochain sera différent, mes parents rayonnants mais embarrassés viendront un soir au pied de mon lit et s’engagera une conversation mystérieuse où me sera révélée la vraie identité du Père-Noël, que je ne dois pas révéler à mon petit frère. Je suis officiellement un grand mais je ne comprends pas la portée de cette révélation. Je suis déçu et étonné de sa solennité. J’imagine que des noëls aussi beaux que les précédents n’existeront plus et je suis partagé entre la fierté d’avoir été sacré grand garçon et inquiet de ce saut de l’autre côté du miroir.
Mais il n’en sera rien, je comprendrai que le personnage du Père-Noël est finalement secondaire dans une si longue fête, qui durera jusqu’à la semaine après Noël, où on ira dormir si tard qu’on sera demain, et même l’année prochaine, au revoir l’année qu’on connaissait bien, où il s’est passé tant de choses et qui vient de disparaître d’un coup, bonjour le froid et le long chemin de 1968, les lumières de la fête sont éteintes, il va falloir retourner à l’école dans quelques jours, dans la nuit, dans le froid, on est en janvier, vivement Noël prochain !
Image de la DS provenant du site https://mes-decouvertes.com