T21 – C’est ma chance


[20/11/2024]

C’EST MA CHANCE

Voici une partie de mes « mémoires ». C’est une toute petite partie et il n’y en aura jamais d’autre. J’en donne la raison dans un « avertissement » en fin de texte que j’adresse à tous ceux qui seraient tentés de se livrer à cet exercice périlleux 😉

Un film du début des années 80 récemment reprogrammé m’a plongé dans de vieux souvenirs, ceux liés au Service militaire, alors obligatoire. J’en ai profité pour les consigner par écrit, dans le but de faire ressortir si possible avec humour, ce que cette période recélait de plus pittoresque. Bonne lecture 

Les Trois jours

Mars 1982, J’ai dix-neuf ans et je reçois ma convocation pour le centre de sélection militaire de Cambrai. Il s’agit des fameux « Trois jours » préalables au Service National obligatoire. Trois jours qui ne dureront en fait qu’un jour et demi.

A cette occasion je vais devoir prendre le train, et pour la première fois seul. D’abord sur le trajet de Soissons vers Laon puis après un changement, vers Saint-Quentin, puis Bohain-en-Vermandois, et un dernier jusque Cambrai.

J’avais étudié de près mon parcours mais je redoutais tout imprévu qui m’aurait conduit à me tromper de train ou de sens de trajet. Et en effet à Laon, installé dans mon compartiment et le sentant se mettre en mouvement, je fus convaincu de partir dans le mauvais sens. J’eus des sueurs froides puis l’immense déception d’être prisonnier d’un train qui me ramenait à mon point de départ sans qu’il me soit possible de l’arrêter. Mais il n’en fut rien. Après avoir parcouru une vingtaine de kilomètres, je voyais bien le train se diriger comme prévu vers Saint-Quentin. Deux heures plus tard je finirai par arriver à la gare de Cambrai, où un autocar militaire amènera les jeunes recrues au centre de sélection.

Arrivés dans une austère caserne, nous voici tous réunis pour la présentation des jours à venir et des examens qui nous seront pratiqués. Parmi eux le fameux test de QI bien sûr, mais aussi un exercice de reconnaissance du morse, complètement raté en ce qui me concerne. Nos dentitions seront examinées, d’où sera tiré un impressionnant coefficient de mastication.

Plus tard mon dossier fera état d’une « latéralisation défectueuse ». Nous serons quelques-uns à découvrir cette mention inquiétante que nous devinerons liée au fait que nous soyons simplement gauchers. Pour le test suivant un instrument métallique me sera enfoncé dans une narine, sans résultat exploitable en raison d’un réflexe de panique de ma part lié à l’inquiétant infirmier un peu trop direct.

Beaucoup d’attente entre les différents sites de test pour les futurs appelés vêtus de leur seul slip kangourou et tenant en leurs mains un dossier constamment complété. A un moment je fus témoin d’une course poursuite entre deux infirmiers en blouse blanche dont l’un menaçait joyeusement l’autre d’une seringue remplie d’eau.

Un des jeunes testés réussit le test visuel mais en fut contrarié car il espérait de piètres résultats qui l’auraient conduit à être réformé, ce qu’on espérait tous finalement.

J’eus beaucoup de difficultés avec le test ORL, certains sons me restant inaudibles. Le médecin militaire considéra avec étonnement l’étrange courbe issue de mes réponses, soupçonna une simulation d’incapacité, piqua une colère et décida de tout reprendre, non sans m’avoir intimé l’ordre de faire un peu plus attention. Ma courbe déjà irrégulière se verra balafrée d’une correction manuelle qui la rendra plus affreuse encore. Le militaire conclura, la tête entre ses mains, que cela irait malgré tout. Il nota juste « exempté de parachutisme » et je passai au site suivant.

Après une journée bien remplie, nous restâmes consignés dans l’enceinte militaire, avec l’autorisation d’assister le soir à la projection d’un film dans le cinéma de la caserne. Tous réunis dans la salle, quelques amitiés avaient déjà pu se nouer entre nous et nous regardâmes ce drôle de film américain, où bien peu d’acteurs connus étaient à l’affiche.

L’histoire était ennuyeuse, et remplie d’une musique énervante. L’héroïne était une professeure de mathématiques particulièrement gaffeuse. Une intrigue amoureuse aboutit à un moment à une scène d’amour où chaque spectateur espérait apercevoir quelques menus détails de couleur chair, ç’eût été une consolation après une journée si terne. Mais décidément, la sage réalisation ne semblait pas vouloir trop en dévoiler. A un moment toutefois un téton traversa furtivement l’écran, repéré de suite et déclenchant immédiatement une clameur enflammée et des sifflets enthousiastes. Un militaire fit irruption et hurla cette courte phrase : « Silence ! vous êtes dans une caserne ici ! y’a des militaires !« . Les amoureux hollywoodiens s’étant revêtus entretemps, le film continua sans plus susciter de passion, ni le moindre murmure.

Le lendemain matin, on nous réveilla avec une sécheresse militaire impeccable à 5 heures du matin précises, et obligation nous fut donnée de nous préparer sans délai pour la demi-journée à venir. Ceci fait nous restâmes ensuite dehors, dans la cour de la caserne, à errer dans le noir et nous demander pour quelles raisons nous avions bien pu être tirés du lit si tôt car la journée de travail ne débuta qu’à l’arrivée des personnels, bien après 8 heures.

A la mi-journée, tests achevés et dossiers complets, nous fûmes libérés. Je rejoignis la gare de Cambrai à pied sans attendre l’autocar à la livrée kaki, voulant retrouver au plus vite ma liberté. Sur le parvis de la gare, une jeune fille vint vers moi et me présenta des recueils de poèmes tapés à la machine et reliés par des agrafes. Je montai dans le train allégé de quelques francs et riche d’un ensemble de poèmes que j’ai gardés quelques temps. Je les ai peut-être encore quelque part.

J’ai longtemps guetté le passage de ce fameux film à la télévision, sans succès. Jusqu’à récemment où je reconnus l’actrice parmi les vignettes de films proposés en rediffusion par une chaîne de mon bouquet télé. Après quarante-deux années de discrétion absolue, le film se trouvait à ma portée immédiate. J’ai tout reconnu, à commencer par la musique frénétique. J’ai repensé à mes deux copains que n’ai plus jamais revus et à ces deux journées perdues dans une bien triste immersion militaire. Le film n’est pas si mal finalement, c’est une gentille comédie romantique. Son nom français est « C’est ma chance » et la chanson du générique final mérite à elle seule qu’on aille jusqu’au bout du film.

Le Service Militaire

Trois mois après cette sélection rondement menée commencera pour de bon mon année de service militaire obligatoire, qui comportera deux parties distinctes. Les deux premiers mois seront consacrés à l’éducation purement militaire : Longues marches avec gros sacs à dos et coup de pieds aux fesses quand la cadence ralentit trop, manipulation d’armes à feu et aboiements de sommations réglementaires fictives, dégustation de rations de guerre avec de surprenants biscuits secs hautement nutritifs, corvées de sanitaires, de cuisine, de nettoyage, punitions arbitraires comme cirer le sol de l’aumônerie, se lever en pleine nuit pour un exercice surprise, nettoyer la chambre commune avant de partir en permission, avec le suspense que l’adjudant de revue, escabeau en main, détecte une poussière sur une poutre en hauteur et annule la permission du responsable de chambre.

La seconde partie durera les dix autres mois et consistera à tenir un poste de secrétariat dans une autre caserne du même département. L’adjudant-Chef dont je dépendais donnait à qui voulait l’entendre sa définition pleine de bon sens du Service Militaire : c’est un impôt obligatoire consistant à servir gratuitement son pays pendant un an, la solde misérable étant de l’argent de poche.

Deux premiers mois à la caserne du 516e Régiment du Train de Toul (Meurthe-et-Moselle)

L’incorporation

Si j’ai complètement oublié de quelle façon j’ai rejoint la caserne de Toul en juin 1982, le souvenir des deux premiers jours est en revanche intact.

Le programme des nouvelles recrues commençait par la perception du paquetage. Nous dessinâmes une longue queue devant le magasin d’habillement où l’attente fut interminable. Nous étions encore revêtus de nos vêtements civils, certains gars en tenue décontractée, d’autres littéralement endimanchés. Nous avions des accents régionaux divers, j’entendais surtout celui d’Alsace. Nos cheveux étaient en bataille et on rigolait, on regardait notre nouvel environnement militaire comme une farce. Tout cela était du théâtre, dans un an on serait loin sans jamais avoir été dupes.

Les portes du magasin s’ouvrirent et nous en ressortîmes avec quantité d’articles vestimentaires, parfois énigmatiques. Nous gagnâmes nos chambres communes où tout cet équipement fut entassé dans des armoires métalliques individuelles.

Vint l’étape suivante, le coiffeur. Non que le personnage fût dépourvu de métier, mais la consigne était simple, la même coupe pour tout le monde, ne restaient plus que cinq millimètres sur nos cranes après le passage de la tondeuse, on ne se reconnaissait plus dans la glace.

Le signal de nous rassembler dans la cour de la caserne retentit, ce qu’on fit sans délai. Nous nous rangeâmes le mieux possible. Un ordre soudain fut hurlé de nous mettre au garde à vous, ce que nous fîmes de notre mieux, n’importe comment. L’adjudant de compagnie nous signifia sur le ton le plus sec qui soit que nous étions là « depuis deux jours, qu’on était désormais des anciens, et que plus aucune erreur ne serait tolérée ». Nos crânes ras et uniformes venaient de nous priver de tout détachement face aux ordres, nous étions devenus d’un coup des militaires, de pauvres gars résignés à obéir, sans plus penser, privés de leur personnalité passée, dans l’acceptation de tout, nous étions enrôlés, pour une année. Aujourd’hui je sais bien que tout cela était en effet du théâtre, mais à ce moment nos repères n’étaient plus disponibles et ce théâtre avait assurément l’air d’une très mauvaise blague.

Nous fîmes sans tarder la connaissance de notre capitaine d’escadron. L’impressionnant haut responsable, un pauvre homme qui n’avait sans doute jamais souri de sa vie se présenta à nous d’un air terrible, il nous fixa des cadres sévères avec des ordres, des menaces …

Du théâtre encore, enfin j’espère.

L’escadron était divisé en petites unités appelés pelotons, d’une quinzaine d’hommes. Chaque peloton avait un chant qui le présentait sous son meilleur jour. Nous devions connaître le nôtre et le reprenions quotidiennement en chœur, sous le direction sévère de notre lieutenant aspirant. Comme nous étions des hommes, des vrais, la tessiture de la portée musicale avait été descendue pour mettre en valeur nos voix bien graves. Mais comme elles ne l’étaient pas tant que ça, elles étaient juste normales, il était du coup difficile de chanter des notes aussi basses et le souffle de ce puissant chant viril n’était audible qu’à trois mètres tout au plus.

Le 14 juillet

Très vite, notre activité militaire fut entièrement axée sur la préparation du défilé du 14 juillet, non pas sur les Champs-Elysées mais bien à Toul. Nous défilions des heures dans les allées de la caserne, sous un soleil de plomb. Marcher au pas n’était pas un problème pour moi, j’avais appris à le faire avec l’harmonie municipale de mon village quand j’avais 12 ans. Mais pour certains, cela n’allait pas de soi.

Nous devions aussi montrer des mouvements de présentation d’armes à feu (vides). Pour les porteurs de fusils le mouvement se décomposait en quatre temps, le dernier étant la bruyante frappe des cuisses. Pour ceux qui étaient affublés d’un pistolet-mitrailleur seuls deux mouvements étaient possibles, menant au même claquement final. La synchronisation d’ensemble ne semblait atteignable que si les porteurs de pistolets mitrailleurs comptaient deux mouvements fictifs dans leur tête avant d’exécuter les deux réels, ce qui conduisait à une pagaille générale, reproduite chaque jour au grand dam de l’instructeur qui s’arrachait les cheveux, dénonçant notre totale incompétence. C’est pourtant lui qui avait eu cette belle idée de synchronisation mentale, impossible à obtenir dans les faits.

Le mode d’expression des gradés hurleurs d’ordres était l’impératif. Cette simplicité était cependant contrariée par la nécessité d’introduire toutes sortes d’allusions sexuelles dans le discours. Un jour l’adjudant de compagnie termina son allocution par cette conclusion pleine d’humour : « Ne confondons pas tentacule et encule ta tante ». Ces allusions étaient autant de postures viriles de bon aloi, admises et encouragées en toutes situations, à la seule condition que ce soit le plus gradé qui les prononce. Pour le défilé du 14 juillet, le lieutenant responsable nous avait expliqué que la qualité de notre prestation devait conduire les petites culottes des jeunes filles à tomber d’elles-mêmes au sol, il le disait à chaque fois.

La pression qu’on recevait pour ce défilé était telle qu’on entrevoyait des sanctions disciplinaires de premier ordre en cas de défaillance le jour fatidique. Le 14 juillet arriva on allait bientôt pouvoir tourner cette page interminable. On était enfin prêts mais on n’était pas seuls, les formations militaires étaient nombreuses pour ce rendez-vous hors normes. Quand ce fut notre tour d’avancer, on réalisa qu’on n’entendait pas la musique. Elle était jouée au loin et il fallait démarrer en marchant au pas malgré tout.

Ce fut la plus grande pagaille qu’on puisse imaginer, tout fut raté, nous passâmes devant la prestigieuse tribune des officiers généraux comme des poules qui ont vu un renard. Aucun doute que les sous-vêtements des dames restèrent maintenus à hauteur nominale. De retour au quartier, le lieutenant vint nous voir et contre toute attente il nous félicita pour la très bonne tenue de notre défilé. Et voyez-vous, on s’est sentis tout fiers d’entendre cela. Du théâtre.

Sacrifice d’une permission pour la cause de la nation

J’eus la chance d’obtenir ma première permission. J’en aurai moins pour la seconde. La rigoureuse bureaucratie militaire tenue par de joyeux appelés sans implication, sauf pour faire des farces, produisit une convocation à mon nom pour passer le permis de conduire militaire, le samedi venant. J’en fus bien étonné, étant titulaire du permis dans la vie civile, et non promis à conduire quelque véhicule militaire que ce soit, du moins pas plus qu’un autre.

Or je me trouvais seul ce samedi à passer ce permis. Un autre malheureux était consigné, l’examinateur chargé des épreuves. Nous nous rencontrâmes dans la salle de projection et l’épreuve de code de la route commença avec la suite de diapos et les réponses à cocher. L’examinateur ne me quittait pas du regard et observait nerveusement mes réponses. A un moment il sembla inquiet de mon impressionnant taux d’erreurs qui allait compliquer l’affaire. A la question suivante, il intervint et me murmura « non, c’est la réponse B ». Surpris et mécontent qu’on me prenne par la main, je tins bon et maintins mon A. Puis aux dernières questions, je trouvai sage d’appliquer ses conseils discrets mais avisés.

Ouf, il m’annonça que j’avais satisfait aux épreuves théoriques, il fallait maintenant passer l’épreuve de conduite. Nous nous dirigeâmes vers une belle petite Citroën Méhari, et je dus faire une marche arrière et un petit tour entre deux bâtiments, j’avais obtenu mon permis, quelle fierté. Jamais je ne toucherai un volant militaire au cours des mois qui vont venir. Mais au moins j’ai conduit une Méhari, ça console !

Manœuvre militaire

Vinrent les derniers jours de cette première période et la grande manœuvre à pied. Après une dizaine de kilomètres beaucoup de nos valeureux fantassins avaient des ampoules plein leurs pieds. Pour ma part j’avais une grosse ampoule à l’intérieur d’une plus grosse encore. Du jamais vu. Mais comme on était courageux on marchait quand même, du moins on obéissait en encaissant les reproches, comme si on y pouvait quelque chose.

On peut s’interroger sur l’amateurisme d’encadrants envoyant marcher des combattants aux chaussures non parfaitement ajustées qui les faisaient boiter et saigner après 20 mètres.

Nous passâmes la nuit loin de la caserne. Non pas dans un hôtel chic mais dehors, dans l’herbe humide, dans un étroit sac de couchage mou et froid, le long pistolet mitrailleur (vide) en métal glacé le long du corps. Au petit matin, nous libérâmes les lieux non sans avoir éliminé toutes traces de notre soirée sur place. Tous en ligne espacés d’un mètre, nous avancions et ramassions tous détritus détectés. Une méthode rapide et efficace.

Le plongeon !

Pourrait-on imaginer qu’à l’issue d’une période d’enseignement militaire aussi exemplaire on puisse encore trouver une recrue ne sachant pas nager ? Un beau jour, nous nous rendîmes à la piscine pour le vérifier et on nous sépara en deux groupes : les nombreux qui flottent d’un côté et ceux qui coulent encore, dont moi, de l’autre. L’instructeur se désintéressa vite des premiers pour se consacrer aux seconds et leur ordonner des plongeons en règle dans les plus grandes profondeurs. Il fallait d’abord un premier volontaire. Le gradé faillit cracher ses poumons à force d’appeler en vain un premier courageux. Comme personne n’avançait j’y suis allé, j’étais volontaire, avec l’espoir d’être débarrassé au plus vite. J’ai sauté, j’ai attrapé la perche à la sauvette et je suis remonté. Et en effet on ne m’a plus embêté. L’instructeur s’est régalé ensuite à terroriser ses recrues plus lourdes que l’eau et leur hurler toutes sortes d’ordres et de reproches. Je ne pense pas que l’un d’eux ait eu la révélation du grand bleu chloré ce jour-là.

La piqûre et au revoir !

Il restait une ultime épreuve, dont j’avais toujours entendu parler, la piqûre obligatoire, si douloureuse que chacun en avait peur. On racontait que certains s’évanouissaient après l’injection. Que nous injectait-on ? Le vaccin se nommait TABDT, soit un cocktail de trois vaccins au moins (typhoïde, diphtérie, tétanos). Des rumeurs soupçonnaient des additifs mystérieux. Il n’était pas prévu de nous fournir d’informations. Ce jour-là, tous réunis dans la même salle je n’ai assisté à aucun évanouissement, ni ressenti de douleur.

Peut-être les rumeurs étaient-elles des survivances de l’ancien Conseil de Révision, ancêtre de la sélection des Trois jours, où les hommes étaient nus, l’un derrière l’autre, pendant des heures, sous les regards de personnalités autorisées. Il est possible que ces conditions dégradantes et prolongées se soient ajoutées à la peur et à la douleur de l’injection pratiquée par des personnels peu formés, pour aboutir à des syncopes.

La seconde période

Arrivée

Il restait dix mois de service à effectuer, ce sera à Montigny-les-Metz, dans un quartier hébergeant plusieurs unités distinctes. Désormais les activités purement militaires seront remplacées par l’exercice d’un emploi simple, de secrétaire en ce qui me concerne, en tenue militaire béret compris bien sûr. La première nuit se déroulera dans une annexe de la caserne.

Un bruit murmurait qu’on serait réveillés pour un bizutage en règle par des anciens. Et en effet, je fus tiré de mon sommeil par des fêtards venus nous taquiner. Mon regard croisa celui du gars qui m’avait réveillé et, sans doute conscient que me chagriner dans un moment pareil serait un mauvais calcul, il s’éclipsa illico. Certains se rendormirent, d’autres discutèrent longtemps avec eux. J’entendis que nos emplois ne devraient pas nous occuper plus d’une demi-heure par jour, ce que j’ai pu vérifier. On s’habitue.

Une hiérarchie parallèle

Le service militaire a toujours eu ses traditions. Et paradoxalement les appelés avaient cœur de les perpétuer d’eux-mêmes. La population n’était pourtant jamais la même, des contingents partaient et arrivaient tous les deux mois, mais les traditions restaient. Celle de la quille en bois par exemple, que beaucoup se confectionnaient clandestinement durant leur séjour.

Mais comment aurais-je pu me douter de l’existence d’une échelle hiérarchique parallèle, si étonnante que je n’en ai pas encore compris tous les aspects, celle qui mesurait la proximité de la date de libération. Définissons le terme de libérable. Un libérable est l’appelé qui a vu venir son dernier contingent de nouvelles recrues. Dans deux mois, le contingent suivant remplacera le sien, il sera libéré, il est libérable, pour deux mois.

Le libérable s’autorisait de périlleuses libertés plus ou moins tolérées par la hiérarchie officielle, afin de provoquer celle-ci mais aussi et c’est moins compréhensible, pour narguer les pauvres appelés moins anciens. Parmi les transgressions, on voyait un bouton de treillis dépasser ostensiblement. Ou bien l’insigne du grade retourné. Le libérable ne se rendait plus chez le coiffeur militaire et laissait dépasser des mèches sous le béret. Tous ces signes étaient discrets mais codifiés et remarqués instantanément. Le privilège ultime étant d’être le dernier à sortir du lit le matin … D’autres grades, plus modestes, existaient : Ancien, bleu, vétéran, Pierrot et d’autres que j’ai oubliés.

Les appelés s’interrogeaient souvent entre eux : « combien tu pètes ? » il fallait alors comprendre « combien te reste-t-il de jours à faire ? » Il y a toutes les chances pour que celui qui détenait le plus petit chiffre réponde « 48 dans ta gueule de bleu ». Péter un score signifiait claironner avec malice et provocation le petit nombre de jours restants, tout appelé rêvant de ce moment où il serait lui aussi libérable puis libéré. Les plus proches de la sortie étaient vus comme des dieux de l’olympe, chose que je n’ai jamais comprise.

L’homme le plus important du monde

Je fus libérable moi aussi le moment venu. Un jour dans un train qui partait de Paris, deux jeunes appelés s’installèrent dans mon compartiment, en face de moi. Ils étaient reconnaissables à leur coupe de cheveux et leurs propos centrés sur la vie militaire, les gradés et les bienheureux libérables dont le thème revenait souvent dans leurs propos. Le voyage a duré deux heures, peut-être trois. Je n’avais pas pris part à leurs conversations mais ils m’avaient remarqué et identifié comme un pair. Et bien sûr ils se demandaient si le gars en face d’eux était plus ancien ou plus jeune qu’eux.

A quelques kilomètres de l’arrivée, ils m’adressèrent la parole. Oui j’étais appelé aussi, je rentrais de permission en passant par Paris, j’étais affecté à Metz. Puis l’un d’eux a osé la question, je lui ai répondu que je serais libéré dans quelques jours. Ils restèrent muets. Des choses s’agitaient dans leur tête. Ils avaient voyagé pendant deux heures avec un libérable sans le savoir, ils le raconteraient bientôt autour d’eux. Jamais plus dans ma vie je n’aurai l’occasion de me sentir aussi important que ce jour-là.

Parfois, roulant en ville à bord d’un camion militaire, il arrivait qu’un jeune homme civil adresse un geste discret à l’équipage, l’index et le pouce dessinant un cercle, un zéro. Le visage impassible et les yeux regardant ailleurs, il venait de nous dire « zéro dans vos gueules », se vantant ainsi d’avoir terminé son service militaire alors que y étions encore empêtrés. Ce geste était toujours reçu comme blessant. D’autant qu’une fois rendu à la vie civile, hors contexte militaire, le prestige du geste avait perdu tout sens. Au moins révélait-il l’absence totale de solidarité entre appelés.

Du savon pour l’exemple

Les gradés n’étaient pas tendres non plus avec les appelés, qu’ils sermonnaient vertement pour peu de choses. Un jour un désaccord sur un détail mineur se fit jour entre moi et un capitaine dont je dépendais indirectement. Il me convoqua dans son bureau. Je pouvais comprendre qu’une explication était nécessaire, et que je puisse même avoir tort, mais je n’avais pas imaginé la séquence qui m’attendait. Le capitaine me passa un savon terrible, une vraie tempête interminable, tous les mots y passèrent, les insultes étaient débitées au rythme de la sulfateuse.

Je restais au garde à vous ou du moins silencieux, j’attendais que cela passe, puis à un moment, quand il a jugé que c’était assez, il me congédia vertement. Je le saluai de façon réglementaire, un rien sonné, opérai un demi-tour et me dirigeai vers la porte. Et là je vis, tout contre le mur, une toute petite chaise, avec un tout petit garçon bien sagement assis dessus, son fils assurément. Ainsi, toute cette scène humiliante n’avait eu d’autre but que de briller auprès de l’enfant, l’impressionner, lui montrer à quel point son père était un meneur d’hommes puissant.

Je fus tout autant impressionné par la bêtise et la misérable duplicité de ce pauvre tout petit capitaine à la carrière piteuse. Ce déchet, saoul comme un cochon chaque vendredi après-midi après les départs en permission, arpentant en titubant les allées de la caserne accompagné de l’adjudant-chef de compagnie dans le même état ainsi qu’un troisième larron que j’ai oublié, avait trouvé normal d’agir ainsi face à un appelé donnant gratuitement un an de sa vie en effectuant son travail de son mieux. Du théâtre, de caniveau.

Envoyez les couleurs !

Je me souviens aussi d’un certain mardi. Dans une enceinte militaire, il est procédé chaque soir à la descente des couleurs, le nom officiel du drapeau. Et chaque matin suivant, on procède à sa levée. Ce geste d’une courte durée est d’une importance telle que tout soldat passant à proximité qui oublierait de se mettre au garde-à-vous pendant la montée du drapeau serait passible de sanctions.

Chez nous, la levée des couleurs du mardi donnait lieu à une cérémonie à part entière, à laquelle participaient tous les soldats, armes à la main (vides) et défilés dans les allées. La cérémonie était longue, avec des allocutions du Colonel chef de corps, et sonneries au clairon. La tension amenait parfois certains, surtout en hiver, à perdre connaissance. Ils étaient ensuite vertement admonestés, et on mettait le triste spectacle offert sur le compte du petit déjeuner que le militaire avait sans doute préféré sauter pour rester plus longtemps dans son lit.

Je ne connaissais personne qui se rende au réfectoire le matin pour prendre le petit déjeuner. Celui-ci était servi bien trop tôt. Alors pourquoi un ou deux soldats tombaient-ils en syncope chaque mardi et pas tous ? Je n’avais pas la réponse mais imputais ces accidents à l’émotion ou à un sommeil écourté.

Un mardi d’hiver pourtant il se passa quelque chose. Il faisait très froid, le pistolet-mitrailleur était glacé. On marcha au pas quelques dizaines de mètres et on vint se replacer dans la cour principale, où le Colonel devait s’exprimer. Mais il y eut des lenteurs. Nous restions au garde-à-vous, sans bouger, dans la nuit et le froid, à attendre et rien ne se passait. Je commençais à trouver le temps long. Puis tout d’un coup, je sentis du coton me recouvrir, j’eus la tête qui se mit à tourner, les oreilles à bourdonner, le champ de vision se rétrécit, j’étais en train de partir en syncope. Je tentais de me contrôler, je ne voulais pas m’écrouler à mon tour mais j’étais clairement sur le point de perdre toutes forces.

Puis un ordre retentit, on devait défiler à nouveau. La mise en mouvement me sauva, le sang se remit à circuler et le trouble se dissipa. J’était à jeun, comme d’habitude. Les mardis suivants je ferai toujours en sorte d’absorber quelque nourriture, car il m’était devenu évident qu’un exercice militaire effectué dans le froid d’un matin d’hiver ne pouvait être mené le ventre vide.

Des copains jamais revus

Tout ne fut pas négatif au cours de cette année. En particulier deux amitiés solides se nouèrent. Mon copain Jean-Paul avait la passion de la chasse. Et un fantasme, chasser vêtu d’une parka militaire et de rangers. Il n’était pas le seul et le magasin d’habillement était régulièrement le siège de trafics. Jean-Paul sut intriguer suffisamment pour quitter la caserne avec ces accessoires si importants. Sylvain était un autre pote. Un gars au caractère toujours joyeux, plombier de son état, et employé comme tel à la caserne. Il avait été appelé un jour pour une fuite importante dans des sanitaires. J’étais allé le voir dans le large sous-sol. Il marchait dans 10 centimètres d’urine, se demandant comment réparer cette satanée fuite. L’odeur était écœurante et lui, toujours de bonne humeur, prenant tout du bon côté.

A l’occasion de l’incorporation d’un nouveau contingent, j’entendis un nom qui revint sans cesse. Un appelé avait été affecté dans le bâtiment administratif et il fut doté rapidement d’une réputation peu commune. Tout le monde parlait de Pozetti (le nom est modifié). Les appelés l’appréciaient, mais aussi les gradés engagés, il semblait indispensable, au point que mes oreilles commencèrent à se fatiguer. Qui pouvait bien être ce zozo qui savait tellement se mettre en valeur ? Je ne le connaissais pas et m’en portais très bien, n’ayant pas besoin de me rendre dans les bureaux où il régnait. Je l’imaginais corpulent, à la voix forte, extraverti.

Puis quelques jours avant de quitter définitivement la caserne, je dus me rendre au service administratif. J’y rencontrai pas mal de gars inconnus. L’un d’eux, pas très grand, à la silhouette fluette me reçut. Il me dit avec surprise « c’est toi dc ? « (le nom est modifié). Il semblait content de me voir, il avait entendu parler de moi lui aussi. Sur son treillis était accrochée sa bande velcro nominative, on y lisait : Pozetti. Nous nous dîmes quelques mots, une amitié spontanée et évidente apparut d’un coup entre nous. C’était donc lui Pozetti, il semblait en effet chaleureux, doté d’un vrai charisme. Je ne l’ai vu que cette fois-là. Une amitié qui resterait à un stade embryonnaire mais je le compte parmi mes vrais amis, avec Jean-Paul et Sylvain.

Virilitude et masculinité

Lors de son service militaire tout est fait pour rappeler à l’appelé qu’il est un homme, un vrai, un dur, et qu’être un homme se prouve chaque jour. Les notes de musique des chants militaires sont tirées vers le bas pour faire ressortir les intonations graves, des allusions sexuelles plus piteuses les unes que les autres sont placées partout où c’est possible, bref on est dans la culture d’une virilité assumée et entretenue comme si on craignait qu’elle fonde. Mais un homme est-il naturellement viril ou bien la virilité est-elle un simple comportement construit, un rôle de circonstance qui se juxtapose à une nature masculine fondamentale plus neutre ?

Pas de doutes, chaque lundi matin nombre d’entre nous étions virils, du moins ceux qui aimaient raconter explicitement leurs exploits amoureux du weekend, avec de grands gestes, des mots, de l’affirmation, peut-être même de l’exagération allez savoir. L’un d’eux a empoigné une fois un bureau pour l’approcher de sa taille et mimer un acte sans grande tendresse mais impeccablement viril.

A dix heures du matin plus personne n’était viril, nous étions des garçons qui vaquions à nos tâches, sans démonstrations de force ni effets de voix, sans plus parader. Il est vrai qu’à la caserne il n’y avait pas d’âme féminine pour éveiller les instincts.

Si l’on sortait en camion en ville cependant, nos sifflets réagissaient bruyamment à toute présence féminine. Il est à noter que les militaires embarqués n’éprouvent pas tous le besoin de siffler loin de là, ce sont toujours les mêmes qui le font, juste un ou deux, pas spécialement enflammés d’ailleurs, cela semble juste comportemental, ils ne savent pas ne pas le faire.

Une éducation militaire complète

Le jour où j’avais quitté la maison pour cette courte vie militaire, mon père m’avait dit, désabusé : tu vas juste apprendre à fumer, à ne rien faire et à siffler les filles. Il aurait pu ajouter à tricher, car si je n’ai pas fumé, que je suis resté occupé et que n’ai pas sifflé les filles, j’ai su aussi résister à ce qu’on peut appeler la corruption, toutes proportions gardées, soit la participation à de nombreux trafics.

Celui du magasin d’habillement était généralisé. L’attrait d’articles prisés comme les grosses parkas vertes et surtout les rangers noires encourageait à fréquenter les appelés qui y étaient employés et à conclure des affaires.

Par exemple, si on avait accès à des machines d’atelier, on pouvait monnayer une quille en bois, si on travaillait aux permissions, gagner quelques jours était facile. Si être de garde le weekend vous embêtait et que l’assistant de l’adjudant de compagnie vous ait à la bonne, il y avait moyen de s’arranger.

Un dimanche où j’étais de garde, je vis entrer à titre privé l’adjudant responsable du restaurant. Il ressortit peu après avec sa voiture personnelle qui touchait le sol. J’ai consigné le passage sur le registre de garde mais ne suis pas allé plus loin. Un délit de détournement en nature était soupçonnable.

Mon adjudant-chef responsable me montra un jour une grande pièce fermée à clé à l’étage de notre bâtiment. C’était un magasin de matériaux parallèle qu’il avait constitué en gonflant les besoins commandés aux prestataires, ainsi qu’il me l’avait expliqué.

Un collègue secrétaire était venu une fois de chez lui, non pas en train mais avec la 2CV camionnette de l’entreprise familiale, pour en repartir chargé de matériaux de construction puisés dans le magasin de la caserne (officiel celui-là). Il était fier d’avoir su réaliser un double de la clé. Il y avait aussi l’expression « passe-droit » qui faisait partie du vocabulaire courant.

En fin de ma période militaire le temps fut arrivé d’exercer mes derniers jours de permission. Comme il m’en restait quatre, je terminai ma semaine un lundi soir. Autour de moi, personne ne comprit pourquoi je n’étais pas allé voir le dénommé untel, un ancien et grand manitou des permissions, pour compléter cette semaine bancale. Cela créait un dérangement, presque un malaise que je refuse le jeu des trafics.

J’ai appris à Metz que la corruption est un processus qui s’engage très facilement dans la mesure où chacun pense qu’il saura en tirer un bénéfice personnel, le tout étant que le prix payé dans ce marché clandestin soit à la hauteur du bénéfice escompté. C’est le principe de la triche où la loi du collectif est ruinée au profit de conforts individuels.

La corruption est attractive, mais elle peut affaiblir. Un jour un gars de mon service vint me voir. Cela s’engageait mal pour lui, l’assistant planificateur des gardes n’avait personne pour le weekend et c’est lui qui avait été désigné d’office, à la sauvette et injustement puisqu’il avait exercé son tour,  avec moi d’ailleurs, deux semaines auparavant. L’assistant et l’adjudant-chef avaient décidé de ne rien entendre, ni comprendre les raisons personnelles impératives qui le retenaient par ailleurs. Il était démoralisé. Je décidai de me rendre avec lui dans le bureau de l’adjudant-chef. Je suis entré et ai dit cette phrase : M. Févier (nom modifié) vient d’être planifié pour ce weekend, or je confirme qu’il était de garde avec moi tel autre jour de ce mois. Mon copain n’en revenait pas, le terrible adjudant-chef, celui qui était saoul tous les vendredis après-midi a instantanément pris acte de cet argument qu’il refusait jusqu’alors de voir, il a dit en s’adressant à l’assistant qui ne pipait mot « oh mais comment on va faire alors ? » Tout avait été réglé en trois mots. J’étais connu comme quelqu’un de droit, cela me procurait une sorte de force que peu possédaient à la caserne, une force sur laquelle les mécanismes usuels restaient sans prise.

La libération et ses soubresauts

Le jour le plus important pour l’appelé est sans aucun doute le dernier, avec la soirée d’adieu au milieu des copains du service, et la nuit avec les autres libérables. Parmi les traditions indéboulonnables figure celle de l’énorme chambard alcoolisé, la visite des chambres, la casse pour le plaisir. Tous les deux mois, on découvrait la scène dévastée, les libérables repartis vers la vie civile et les dégradations qui leur survivaient.

Quand le contingent de février est parti, on avait atteint un tel record de vandalisme que certains, atterrés par les dégâts allèrent jusqu’à dénoncer les plus méthodiques. Le départ suivant, celui d’avril montra quelques stigmates de la fête mais on était loin de celle de février. Dégoûté par ces attitudes puériles et purement imbéciles, j’ai décrété à haute voix que lors du prochain départ, qui me concernait, je ne prendrais part à aucun débordement. Je n’avais parlé que pour moi mais tout le monde était visiblement sur cette ligne et le départ de juin restera sans aucun doute connu comme le plus propre jusqu’alors.

J’ai pu mesurer qu’il était possible de ressentir l’énorme contentement d’avoir enfin terminé son année militaire sans pour autant s’être acharné à se venger sur chaque brique de la caserne.

En conclusion de ces courtes mémoires du service armé, je mets les paroles d’une très ancienne chanson de Pierre Perret, avec lesquelles je me suis toujours senti en phase, notamment le vers qui annonce que tout va peut-être changer. Ce que je relate se passait il est vrai de mars 1982 à fin mai 1983. C’est maintenant très loin.

 Le service militaire (Pierre Perret)

C'est bien parc' que j'aim' autant l'armée que les flics,
Que mes couplets d'un mauvais goût systématique
Vous racontent en trois coups de game-è-lle
Trois petits tours dans une poube-è-lle,
Comment qu'on se r'trouve à vingt ans
Crétin, hilare et décadent !

Refrain : Qu'est-ce qu'on rit,
Au service militaire
C'est merveilleux mes amis
J'aime ma mère la patrie,
J' la servirai toute ma vie !

Sa langue épaisse était chargée comme un mulet,
La voix cassée par les ballons de muscadet,
Le chef qui sentait la choucrou-ou-te
Gueulait des "j'en ai rien à fou-ou-tre",
Quand quelqu'un lui disait bonsoir,
Il répondait « j'veux pas savoir »

Refrain

Quand le major nous parl' d'hygiène on voit ses crocs
Plus noirs que la conscience de mon imprésario,
On d'vine à son halein' discrè-è-te
Qu'i’ s' les brique avec une chausse-è-tte,
I’ peut voir Chicago confiant,
C'est pas lui qu'on traitera d' sale blanc !

Refrain

Y a un musclé qui a d'mandé à rempiler,
L'est si ouvert que dans l' civil tout lui est fermé,
Quand il na-ge dans la vina-a-sse
I’ nous sort des plaisanteries gra-a-sses
Et la photo de sa Marion,
A poil comme un morceau d' savon !

Refrain

Je rencon-tre parfois des vieux poteaux d'antan
Qui se tapent sur les cuiss' en parlant du vieux temps,
Si je répri-me ma triste-è-sse,
Mon envie d' leur botter les fe-è-sses,
C'est qu'au prochain casse-pipe joyeux,
Y faudra bien des mecs comme eux !

Refrain

Aujourd'hui on nous prétend que tout va changer,
Pour être intelligent, suffisait d'y penser,
Les casernes feront peau neu-eu-ve,
On placardera ces chefs-d'oeu-eu-vre,
Ordre aux gradés bêtes et méchants
D'être un p'tit peu moins cons qu'avant !

Refrain ...

Avertissement 🙂

Après avoir transcrit en mots ce qui n’était qu’un ensemble de vieux souvenirs, je constate que cette transmutation a dénaturé voire détruit certaines images initiales, qui se voient maintenant remplacées par leur évocation moderne de ces derniers jours.

En principe, si l’écriture est honnête il ne devrait pas y avoir d’écart entre les mots et la mémoire. Pourtant je réalise qu’un souvenir ancien n’est souvent plus qu’une image mentale fixe, fragile, fusionnée avec un contexte qu’on n’a jamais verbalisé ni confronté à la vraisemblance. Or il est connu que les vieux souvenirs sont souvent déformés et même parfois contradictoires entre eux.

De sorte qu’un fois transcrits et reconstruits avec des mots, du sens, réimaginés en somme, certains n’ont pas résisté et ne semblent plus disponibles, une image fictive et neuve leur fait désormais écran quand je tente de me les rappeler. 

Je crois utile de partager ce triste constat. N’écrivez jamais vos mémoires, les écrire, c’est la perdre !