T12 – Le GROOM est-il votre ami ?
[11/08/2024]
LE GROOM EST-IL VOTRE AMI ?

Si vous êtes habitué aux immeubles, aux bâtiments administratifs et bureaux ou autres salles de réunion, vous avez sûrement constaté que vous êtes souvent dispensé de refermer les portes derrière vous. Un dispositif cylindrique articulé, boulonné et dissimulé au haut de la porte, appelé « groom » par les techniciens, se charge de ce travail pénible à votre place.
Il ne faudrait pas en conclure trop vite que le groom est votre ami.
D’ailleurs, peut-être n’aviez-vous pas du tout envie de la refermer cette porte, mais la voici quand même reclaquée. Votre seule parade en la circonstance : la retenir à deux mains, le dos arc-bouté, tout en déplaçant du bout du pied le carton à ramettes de papier posé là pour remplir ce rôle le moment venu.
Même si le principe d’un bureau bien refermé vous convient, vous gardez une certaine amertume car vous sentez confusément qu’on vient d’abuser de vous. Vous êtes pourtant sûr de n’avoir fait que la moitié du travail, à savoir pousser la porte pour entrer. Mais comment ne pas remarquer l’effort important qui vous a été demandé. La porte serait-elle sculptée dans un matériau massif, du chêne de Papoustan ? Non, c’est du bois standard.
La réponse est dans la quantité d’énergie que vous a réclamé le groom. L’effort a puisé en vous l’énergie nécessaire pour ouvrir la porte, mais aussi du même coup pour compresser le groom en vue de sa fermeture. Une fermeture qui n’attend d’ailleurs pas que vous ayez achevé votre franchissement et vous oblige à forcer de plus belle, malheur à vous si vous transportez un objet un peu encombrant dans vos mains.
Le groom ne fournit jamais le moindre atome d’énergie par lui-même, il préfère la capter en vous. Du coup, sans le savoir, vous ouvrez la porte en fournissant l’énergie de sa fermeture. Et plus la porte est lourde, plus vous compressez, à deux mains, pesant de tout votre corps si besoin. Et si vous ne franchissez pas assez vite, la porte vous poussera aux fesses … Que celui ou celle à qui ça n’est jamais arrivé me jette la première pierre !
Le groom est un dispositif paresseux et grincheux. Il est aussi très bête. Car vous, lorsque vous ouvrez une porte, vous avez l’intelligence d’appliquer vos mains à bonne distance de l’axe, sur la poignée par exemple, ce qui vous assure un bras de levier avantageux. Le groom ne se donne pas cette peine. Son bras articulé n’applique sa force qu’à quelques centimètres de l’axe. Amusez-vous à ouvrir une porte en appliquant votre main tout près de l’axe, vous verrez combien c’est pénible. C’est pourtant ce que fait le groom avec votre énergie, tout en riant dans sa barbe.
Une autre preuve de sa bêtise : Alors que vous, pour ouvrir la porte, vous exercez une force d’une certaine intensité, disons 3 Newton, et pendant un temps fini, disons 5 secondes soit le temps de la franchir, le groom est capable de transpirer sans même le savoir pendant des minutes, des heures, des mois …
En effet dans le cas d’une porte calée de façon permanente en position ouverte (par des ramettes de papier, ou une cale en bois solidement enfoncée), le groom n’abandonne jamais sa poussée. Ainsi voilà vos 3 Newton primordiaux appliqués de façon continue et forcenée. Pour un peu, l’énergie de votre effort initial, multipliée sans fin, cumulerait le potentiel d’un réacteur atomique, mais c’est juste à déformer la porte petit à petit que cette poussée infernale va s’employer (comme le montre l’image ci-dessous, où l’on voit une solide porte se déformer peu à peu).

Pour résumer, lorsque vous agissez sur la porte d’un bâtiment administratif, vous fournissez l’énergie pour ouvrir la porte (un peu) et pour la refermer (beaucoup). Et aussi pour transporter sur 60° l’encombrant dispositif boulonné à la porte ! Sans compter le déplacement de la boîte de ramettes du bout du pied… Tout cela multiplié par les 50 portes franchies chaque jour dans les deux sens.
Tentons malgré tout de prendre la défense du groom, autant qu’il soit possible : Il est vrai que quand on ouvre la porte, le bras de levier qui agit sur la patte d’appui du groom, pourtant située près de l’axe, nous est à ce moment favorable. Voilà qui est dit.
Par ailleurs, en cas d’incendie, c’est sans doute une bonne chose que la fermeture des portes soit assurée. Mais alors dans ce cas, si on veut s’échapper au plus vite pour rejoindre le point de ralliement, chaque porte sera le théâtre d’une empoignade vigoureuse avec notre renfrogné cerbère …
Un dernier grief : même si l’on approuve une porte qui se referme, on apprécierait parfois qu’elle le fasse plus vite. Mais si vous tirez la porte pour accélérer le mouvement, le groom rejettera votre aide et vous opposera fermement sa cadence rien qu’à lui.
En conclusion, et si le groom était tout simplement un aigri ? Il sait bien que jamais il n’aura la légèreté ni la grâce de l’affichette qui nous dit gentiment « Merci de refermer la porte derrière vous ».
