T11 – Oui, l’alcool abolit les réflexes


[6 août 2024]

L’alcool et l’abolition des réflexes

On le sait tous, boire ou conduire il faut choisir. L’alcool endort la vigilance, affaiblit les réflexes. Tricher peut coûter cher.

Pourtant dans un pays où l’usage de l’alcool est si répandu cela peut parfois s’avérer problématique. Par exemple on vient de passer un bon moment avec des amis et on n’a pas fait suffisamment attention. Un petit apéritif, un peu de vin, un tout petit alcool de prune et mince il faut rentrer et conduire la voiture. Qui ne s’est jamais retrouvé dans cette situation embarrassante.

En général, on va se déclarer malgré tout en capacité de tenir le volant. La route, on la connaît bien et on va tenter d’éviter les gendarmes en prenant la petite voie tranquille connue des seuls villageois. Chemin faisant, on constate que tout ne va pas si mal finalement. On est prudent bien sûr mais on voit que les trajectoires sont maîtrisées, même la méchante priorité à droite qu’on connaît bien est a priori correctement négociée et la voiture rentre sans encombre dans son garage, tout le monde est arrivé à bon port.

Du coup on va se demander où est la part de vérité dans ces histoires de réflexes soi-disant capables de vous envoyer dans le décor et même au cimetière. Peut-être cela ne concerne-t-il que les hommes de faible constitution, pas aussi bien bâtis que moi, pas assez habitués à l’alcool ou alors trop sensibles. Pour un peu on se jugerait un surhomme, les recommandations sont bonnes pour les autres, non pour moi puisque je parviens à conduire sans ressentir l’altération de mes réflexes.

L’alcool j’ai connu. J’en ai consommé, toujours avec modération, en principe. Je n’étais jamais ivre, préférant la qualité des grands crus aux cubis de vin qui pique ou des canettes de bière avalées au kilomètre. J’avais même la prétention d’être un connaisseur en vins, ou du moins un amateur éclairé, ayant goûté et mémorisé presque tout ce qui se boit. Il me restait les rêves inaccessibles, le Château-Margaux, la Romanée-Conti, j’avais le temps.

Un jour, nous avions reçu des invités. Le monsieur était grand amateur de bon vin et avait même fait des stages de dégustation. Nous ouvrions souvent une bonne bouteille ensemble. Ce dimanche-là, j’avais remonté un Châteauneuf-du Pape, peut-être même deux, que nous avions ramené de vacances dans le sud de la France. Il s’agissait de mes dernières bouteilles. Je trouvai ce Châteauneuf incroyablement bon et fus d’ailleurs surpris d’être le seul à l’apprécier. Voilà une chose que j’ai souvent déplorée, quand on ouvre une belle bouteille entre amis, nous buvons tous le même vin dans les mêmes conditions et pourtant nous ne le ressentons pas de la même façon. Certains sont déçus, d’autres tout seuls à le trouver si bon.

Ce jour-là j’ai abusé de ma dernière bouteille. Quand les invités, plus sobres que moi, sont repartis, je me savais incapable de conduire une voiture et passible des plus hautes peines en cas de contrôle de gendarmes. Heureusement je n’avais pas à prendre la route, je pouvais même envisager une sieste sur le canapé. Ainsi installé, je tentai de placer mes pieds sur la petite table de salon bien encombrée de magazines et autres divers objets. Parmi ceux-ci un jeu électronique de Tetris que mon épouse avait reçu en cadeau de La Redoute.

J’étais devenu très fort à ce jeu, je pouvais le pratiquer à un niveau de difficulté maximum, et à la plus haute vitesse. Il me vint une idée : Que pourraient bien donner mes performances, et notamment mes réflexes dans le niveau mental où je me trouvais, si imbibé de vapeurs de grands crus de la vallée du Rhône. Je pris l’appareil en mains, le plaçai en mode rapide avec départ au niveau maximal, et lançai la partie.

A ce niveau de vitesse, il fallait aller très vite, les doigts et l’œil ne devant en aucun cas hésiter. Contre toute attente, tout se déroula aussi bien que possible. Les doigts volaient sur le clavier, l’œil anticipait instantanément la venue et l’orientation des pièces nouvelles et le compteur de points grimpait. Je me rendais à l’évidence, l’alcool restait sans effet sur moi et mes réflexes. Mieux, je ne ressentais aucun stress, rien de cette nervosité qui finissait toujours par me faire trébucher. Je brillais comme jamais dans cette partie.

A un moment, me recalant sur le canapé, mon pied accrocha une pile de magazines posés sur la table qui oscilla puis s’écroula tranquillement au sol avec grand bruit.

J’ai alors réalisé que si je m’étais trouvé à jeun j’aurais su détecter l’oscillation de la pile, d’ailleurs consécutive à mon geste, et serais intervenu immédiatement pour parer la chute. Tandis que là, tout venait de se passer sans moi, sans me déranger le moins du monde, sans que je réagisse d’une quelconque façon à cet imprévu, sans ressentir le moindre afflux d’adrénaline.

Me trouvant à ce moment devant ce triste fait accompli, j’ai compris qu’il existe finalement deux catégories de réflexes : ceux qu’on met en œuvre dans une situation connue, et ceux qui vous font réagir et prendre des décisions dans une situation soudaine et imprévue. Si j’avais été au volant d’une voiture, j’aurais peut-être encore correctement négocié la priorité à droite habituelle, mais aurais été incapable de gérer un événement soudain venant à moi à 90 km/h. Ce sont ces seconds réflexes que l’alcool met d’abord en bouillie, dès le premier verre, moi comme les autres. Et cela ne se voit que lorsque le danger est là.

Maintenant je le sais. Je ne triche plus car je l’ai compris, heureusement dans mon salon, sur un canapé et non sur route.

J’ai si souvent entendu des personnes alcoolisées prétendre que « leur voiture connait le chemin » que je vois une réelle lacune dans la sensibilisation au danger de l’alcool, qui n’est sans doute pas assez précise sur la notion de réflexe. Le monsieur ci-dessus a pu par le passé constater volant en mains que l’alcool n’avait pas trop altéré ses gestes habituels, et que sa prudence avait visiblement suffi à contourner le danger. C’est une erreur. Son trajet n’a simplement pas été perturbé par la survenue d’un événement soudain. A quel moment l’aurait-il détecté ? Comment l’aurait-il géré ? Sans aucun doute avec un retard et une passivité qui lui auraient, au mieux, montré que l’alcool venait de le rendre totalement vulnérable lui et sa famille, après voir aboli ses réflexes les plus précieux.

Au volant choisissons de rester toujours maître de toute situation.