T03 – Un visage de l’homo Sapiens


[08/02/2024]

Homo neanderthalensis et Homo sapiens comme vous ne les avez jamais vus

Comme tout le monde, j’ai eu le plaisir d’assister ces dernières années à des documentaires télévisés sophistiqués (tels l’odyssée de l’espèce) retraçant l’histoire lointaine de l’homme depuis les australopithèques jusqu’à l’Homo sapiens. Les différents personnages y étaient interprétés par des comédiens humains plus ou moins grimés. Ainsi l’Homo sapiens n’arborait que d’élégantes peintures tribales tandis que les australopithèques étaient affublés d’un maquillage lourd digne de la saga « la planète des singes ».

Dans ces documentaires les scénarios déroulés se ressemblent souvent : L’histoire débute sur des créatures au physique effrayant, ce sont nos lointains ancêtres bipèdes, pour glisser étape par étape vers l’Homo sapiens, qui termine l’histoire, incarné par des acteurs jeunes et beaux.

Ces documentaires ont une ambition pédagogique, mais ils ratent peut-être une chose importante : nous étonner. Ce qu’on nous présente est rassurant, l’image qu’on reçoit de nous est intacte, flatteuse comme à l’accoutumée. Nous assistons bien à une évolution du simple vers le complexe, du brouillon vers le grandiose, du bredouillant vers le savant, de l’affreuse bête vers l’ange. Ce miroir idéal me parait suranné. Pour renouveler le genre et susciter un étonnement opportun, voilà un scénario qui me plairait mieux :

Dans l’histoire que l’on raconte, on décide d’oublier notre point de vue humain : on place cette fois le curseur sur l’homme de Néandertal, notre proche prédécesseur, et on suit l’histoire à travers ses yeux.

Pour le maquillage des comédiens on reprend les séances lourdes pour les espèces anciennes mais, arrivé à l’homme de Néandertal, plus aucun maquillage n’est requis, voilà la nouveauté. On fait appel à un acteur humain tel quel. Pour ne pas heurter inutilement les idées reçues, on le choisit plutôt « méditerranéen », j’entends par là pas trop élancé, doté d’une musculature et d’un système pileux fournis. Il est nécessaire que l’acteur ait nos traits, ceux qu’on réserve d’habitude à la représentation du sapiens. Pas de peaux de bêtes sur son dos mais des vêtements épais à la découpe régulière.

Dans le courant du documentaire, L’homme de Néandertal rencontre Homo sapiens. Comment le voit-il ? Là les maquilleurs se remettent au travail et nous créent le sapiens vu par Néandertal. Il semble peu probable que ce dernier voie le sapiens plus beau que lui, ou y décèle avec résignation un statut d’évolution plus avancé. Voilà donc ce que les maquilleurs doivent nous créer : un personnage longiligne et droit, malingre, à la peau nue et littéralement blanche, d’aspect fragile, maladroit, avec un visage lisse et ovale, d’une platitude effrayante, au milieu duquel dépasserait un incompréhensible triangle proéminent. Malgré son aspect frêle, il serait perçu comme très dangereux et agressif.

Justification d’un tel portrait : On sait l’homme de Néandertal plus trapu que nous, plus robuste, probablement velu, parfaitement adapté à son milieu. Il avait un visage plutôt projeté vers l’avant, un nez plus aplati, des arcades sourcilières saillantes et un menton léger et fuyant. Par ailleurs on pourrait dépeindre sans risque de trop se tromper l’Homo sapiens comme une créature belliqueuse et conquérante, d’où la peur qu’il inspirerait.

Mes suggestions sont sûrement maladroites. L’important serait de montrer ce qu’on ne voit jamais : un humain différent, laid lui aussi car vu par l’œil de l’homme de Néandertal, (L’homme de Néandertal l’est pour nous, du moins dans les représentations qu’on en fait), et pas du tout à son avantage, pas au centre ni au sommet de la création, juste à sa place parmi d’autres.

Ne tiendrait-on pas là quelque chose de nouveau ?