CANON F5
Calculatrice produite dès 1974, le premier âge des machines scientifiques de poche.
Une mine bourrue, géométrique, quasi préhistorique avec un profil en pédale de machine à coudre, elle affirme cependant une vraie personnalité et distille une ambiance générale qu’on va bientôt retrouver dans d’autres Canon.
Les fonctions scientifiques sont encore simples : les logarithmes naturels et décimaux, la trigonométrie opérant sur les radians et les degrés, et fonctions réciproques. Pas de possibilité d’afficher en puissance de dix. Le plus grand nombre manipulable est donc 99.999.999, le dépassement de capacité n’est jamais loin.
Et question précision, c’est du huit chiffres sec … on a rencontré mieux, mais nous sommes rappelons-le à l’aube du calcul scientifique de poche. Et en 1974, disposer de tables trigonométriques instantanées et aussi simples d’emploi devait paraître providentiel et tellement moderne.
J’ai apporté ma machine au travail voilà peu, dans l’espoir d’étonner mes collègues. Je leur avais parlé d’une machine fabuleuse, tombée entre mes mains ces jours-ci. Je n’avais pas rencontré une écoute bien attentive. Il valait sans doute mieux montrer l’objet.
Ce fut d’abord ma collègue de gauche qui tendit la main avec curiosité, pensant à un nouveau téléphone. La machine posée au creux des mains, elle la fixa dans les yeux, le visage prêt à l’émerveillement. Mais rien de tel ne se produisit. Il fallait allumer bien sûr ! Les doigts triturèrent l’interrupteur de façade, puis celui de côté et un zéro tremblotant apparut. Pas grand chose d’autre, et un visage qui voulait encore croire en la surprise. Mais oui, il fallait taper une opération bien sûr, en l’occurrence le fameux calcul, un milliard de fois vérifié au cours des âges, consistant en l’addition de 1 et de 1. Cela faisait bien 2 cette fois encore … Une mine totalement vide d’expression se tourne vers moi : « Oui ? … et alors ? » …
La calculatrice changea de mains, un autre collègue venait d’entrer … « Ben qu’est-ce-que tu fais avec ça ? qu’est-ce-que c’est ? » J’expliquai qu’il s’agit d’une très ancienne calculatrice scientifique, et déclenchai par là un succès inattendu : « wouah, mais tu sais que si tu vends ça sur ***.fr, tu en tireras au moins 200 € ! » Euh, je dis « non, dix fois moins, et encore, maximum ». Un troisième collègue se lança dans l’exposition de ses recettes personnelles qui permettent les meilleures affaires sur le net, sujet intarissable.
Bref, j’avais complètement raté mon effet …
La CANON F5 resta quelques jours au bureau, puis regagna mon cartable de travail pour un retour à la maison. Une ultime présentation eut lieu quand je traversai le centre commercial local. L’alerte vigipirate ayant atteint un niveau maximum en cette période troublée, un vigile me demanda de lui présenter mon cartable ouvert. J’en profitai pour extraire ma CANON et lui présenter en une courte phrase … La suite est facile à deviner … Heureusement je suis habitué à ces petits moments de solitude. Je ne fais pas fuir les gens avec mes machines, c’est déjà une victoire …