BOWMAR MX140
BOWMAR est une marque très ancienne. Les premières calculatrices de poche BOWMAR remontent à 1972. La MX140, modèle scientifique à 10 chiffres, très recherchée par les amateurs, semble dater de 1974. La construction est sérieuse, le poids conséquent, et le fonctionnement intact.
Cette BOWMAR est un symbole dans le parcours du collectionneur que je suis devenu. Elle révèle une étape, ou plutôt elle met en évidence l’existence d’étapes, des strates, pas forcément conscientes, mais pourtant bien identifiables dans ce parcours.
Je vais tenter ici de retracer le chemin parcouru et retrouver les motivations qui l’ont parsemé.
Etape 1 : Au tout début, en 1975, mon père apporte pour un seul soir un mystérieux petit objet blanc, capable d’effectuer toutes sortes de calculs sans erreurs et à la vitesse de l’éclair. C’est la première fois que je vois une calculatrice. Je resterai toujours marqué par le contact avec cet objet.
Etape 2 : J’observe l’arrivée de toutes sortes de modèles de plus en plus abordables. Le phénomène se démocratise. Enfin ma première : une 4 opérations avec mémoire « dynamique », X², 1/x, Pi, EX, la racine carrée, 8 chiffres verts. Cette petite machine fera partie de ma vie pendant un an puis rendra l’âme, usée par une vie courte mais intense.
Etape 3 : Mes parents décident d’offrir une calculatrice à ma petite cousine pour son anniversaire car c’est une bonne élève. Je suis présent lors de l’achat et j’entends pour la 1ere fois l’expression incroyable « cristaux liquides ».
Etape 4 : Le temps passe. Je suis constamment curieux du phénomène calculatrices. J‘entends parler de machines programmables. J’ignore la signification précise du mot. Je constate que les programmables constituent systématiquement le haut de gamme, qu’elles ont beaucoup de touches mystérieuses, qu’elles sont chères. Mais qu’est-ce qu’un programme ? Que peut-on et que ne peut-on pas programmer ?
Etape 5 : Je reçois de la Redoute ma 1ere scientifique, LCD jaune, non programmable. J’en fais le tour rapidement mais y demeurerai extrêmement attaché … Là encore au bout d’un an, la machine rendra l’âme … Mais contrairement à ma 1ere machine dont j’ai jeté les morceaux sans états d’âme, je conserverai précieusement les reliques de ma 2e (tiens tiens …)
Etape 6 : J’ai craqué. Ou plutôt mes économies me le permettent : j’ai une TI-57 Programmable. Enfin je comprends ce qu’il est possible de faire en la matière. J’adore cette machine, mais en constate vite les limites (peu de place en mémoire et usure prématurée du clavier). Mes rêves se dirigent tout naturellement vers les vitrines où sont exposées les TI-58 et 59. Machines sublimes mais si chères.
Etape 7 : Je saute dans un train pour Paris et me rends à la FNAC Montparnasse, où je vais acheter ma TI-58C, machine que j’ai conservée jusqu’à aujourdhui bien sûr, mais à part des autres, dans son étui d’origine.
Point d’étape : on est en 1983, j’ai une TI-58C, une TI-57 fatiguée, une carcasse inanimée, et le souvenir d’une première. Je ne suis pas collectionneur, je conserve juste mes machines successives. Arrive le phénomène des ordinateurs de poche.
Etape 8 : Après la révélation du Sharp 1211, dont j’ai aperçu de minuscules photos énigmatiques dans des catalogues de composants électroniques, et après que le prof principal en ait amené un en cours, j’assiste à l’explosion soudaine de ces merveilles. Je me paierai 2 ans plus tard le Sharp PC-1251.
Etape 9 : On accélère un peu … Une relative traversée du désert pendant un certain nombre de mois (années ?). Quelques machines scientifiques achetées par ci par là, une Casio FX-602P quand même, une Casio FX-6000G, ma première graphique.
Etape 10 : je découvre par hasard la nouvelle gamme dite « Pioneer » de HP : des machines de nouveau verticales (après la mode des Voyager de HP, des TI-Galaxy), un design sobre et plein de classe. Je suis hypnotisé par ces machines. Après quelques mois, j’ai rassemblé les fonds nécessaires pour une HP-42S que j’utiliserai beaucoup.
Etape 11 : Nouvelle pause. Je ne pense plus aux calculatrices. Ma 42S n’est plus utilisée pendant pas mal de temps. Je cesse d’en prendre soin. Elle traîne dans la boîte à gants de la voiture au milieu d’un désordre certain. Un jour en nettoyant la voiture, je transfère le désordre sur l’établi de ma remise. Ma 42S s’y trouve et va rester là une éternité. Elle prendra la poussière, la sciure … Honte à moi.
Etape 12 : J’ai de nouveau besoin de ma 42S. Je constate que son aspect est fatigué, avec de la poussière derrière l’écran. Je tente de la démonter pour nettoyer. Mais elle n’est pas démontable, ce que j’ignore, et je la « massacre » littéralement. Je suis écoeuré de tristesse. Ayant besoin d’une machine de remplacement, je me penche sur l’offre du moment … et je ne vois rien qui puisse remplacer ma 42S.
Je vais alors acheter plusieurs machines qui ne me satisferont pas. Soit elles sont trop grosses, soit trop limitées ou compliquées d’usage. Je réalise alors que les choses ont changé. Les machines du passé, celles qui m’avaient enthousiasmé n’existent plus. Celles d’aujourdhui ne me plaisent pas ou ne me conviennent pas. Je traverse alors une véritable crise de nostalgie. Je veux retrouver une HP42S. J’en avais vu une dernière dans une librairie de Reims que je connaissais bien. Je m’y rends, bien qu’habitant désormais loin. Mais les années ont passé et plus de trace de cet ultime exemplaire dans les rayons, rien que des modèles scolaires entre boîtes de feutres et cahiers d’écolier.
Pendant des mois je vais rechercher, telle une idée fixe, le modèle idéal que je ne trouverai pas. Pendant cette quête, je vivrai dans le souvenir des machines fabuleuses du passé. Un souvenir sera particulièrement tenace : les vieilles Commodore que j’avais vues dans les catalogues de La Redoute bien des années auparavant et dont j’ignore tout. Je vais alors idéaliser ces Commodore. Je rêve d’en retrouver. Je fais quelques brocantes. Je visite des antiquaires. Il me semble évident que plus aucune trace ne subsiste de ces machines de jadis. Et même si j’en voyais une, quel pourrait être son état aujourdhui …
Point d’étape : Je ne suis toujours pas collectionneur. J’ai maintenant des quantités de machines, achetées ici et là, j’en ai donné ou revendu … Une chose a cependant changé : je veux retrouver des machines anciennes et ne sais pas comment faire.
Etape 13 : Internet. Voilà la solution totalement inconcevable quelques années auparavant. Je découvre Ebay, qui est encore à ses débuts. Les annonces ne sont pas attirantes et le choix est faible. Cela s’améliorera plus tard. Internet me fait aussi découvrir des sites riches d’informations, voire de passionnés.
Etape 14 : Internet est mature. Je peux assouvir ma soif de retrouver les quelques modèles vraiment importants pour moi. Dans les mois qui suivent, ma démarche va se modifier : Il s’agissait jusqu’à présent de retrouver mes anciennes machines revendues, données ou perdues. Il n’était pas question d’aller plus loin. Par exemple, je n’envisageais pas à ce stade d’acquérir un PC-1211 que je n’avais jamais possédé. Malgré tout lors de cette étape, je recevrai ma première Commodore, non sans une grande émotion.
Etape 15 : Rapidement je vais étendre ma quête aux machines vues entre les mains de différents copains de toutes époques. Puis la quête sera dirigée vers toutes les machines intéressantes de ces époques. Puis vers toutes les machines plus anodines, ayant fait un jour partie de mon paysage. Puis de toutes les autres, les belles, les puissantes …
Point d’étape : Je ne suis toujours pas collectionneur. J’ai des quantités de machines. Leur profusion me fait honte. Elles sont cachées dans des tiroirs, sous leur housse. Je ne comprends pas ce qui me pousse à en amasser toujours et encore. J’ai le sentiment de rechercher inlassablement un fantôme insaisissable, formé de souvenirs fugaces et imprécis. Par ailleurs je ne connais personne autour de moi qui se soit jamais intéressé aux calculatrices. Suis-je un monstre …
Etape 16 : Voilà venue l’époque du forum de Silicium.org, que je découvre par hasard. J’entre alors dans une résonnance exaltante avec d’autres mordus de toutes les formes de calculatrices possibles. Chacun vibre en fonction de différentes facettes du sujet. Une palette de sensibilités diverses et contagieuses. Je ne suis donc pas seul à aimer les calculatrices. Il n’est sans doute pas honteux de les amasser. Il faut peut-être juste s’abriter derrière un mot. Ou plutôt un statut. J’endosse donc le costume du collectionneur, et tout devient normal, explicable aux yeux des autres. Même si la constitution de collection n’a jamais été ma démarche.
Quel rapport tout cela a-t-il avec la BOWMAR MX140 ? C’est typiquement une machine de collectionneur. A mon insu, j’ai franchi une étape nouvelle. Car la BOWMAR est différente. Je ne la trouve pas belle. Je ne la connaissais pas voilà 2 ans. Je l’ai voulue parce que je SAIS qu’elle est importante, par sa réputation, ses caractéristiques, par la convoitise qu’elle suscite … Je suis ici dans une logique de collection, et plus dans la passion .




